Le libre-échange, religion officielle des gouvernements européens
Le 22 mai dernier, les ministres du Commerce des pays membres de l’Union européenne ont convenu que les futurs accords commerciaux devaient désormais se réaliser sans l’aval des parlements nationaux. Cette décision prise en catimini dans l’ambiance feutrée des bureaux bruxellois montre une fois encore que les principaux dirigeants européens s’éloignent toujours davantage de leurs peuples qui les ont pourtant élus.
Du CETA à la sacralisation de la déréglementation du libre-échange
Les difficultés de la commission européenne à imposer le CETA sont la cause directe d’une telle inflexion dans la gouvernance européenne. La résistance du parlement wallon en 2016, petit caillou dans la chaussure des technocrates européens, était là pour rappeler que la démocratie était bien gênante lorsqu’il s’agissait de satisfaire des intérêts privés. En effet, outre les abaissements des droits de douane à destination des produits de l’élevage canadien, qui ne respectent ni les normes sanitaires, ni les normes environnementales des pays européens. Cette opposition à la norme et à la loi des États souverains, dernier rempart pour protéger les citoyens, caractérise avant tout le CETA. Désormais, les grandes multinationales peuvent attaquer devant un tribunal arbitral les administrations publiques dont les lois entraveraient leur développement économique. Le problème n’est donc pas seulement économique, mais aussi politique, avec le risque de voir se développer de véritables États parallèles ou encore une déréglementation généralisée qui toucherait l’ensemble des agents économiques y compris les services publics. Mais, même si le CETA a été adopté, la réticence wallonne était pour la technocratie bruxelloise un douloureux rappel qu’il existait encore une respiration démocratique sur le continent européen.
Après la démocratie
En dépossédant les parlements nationaux de tout pouvoir sur les prises de décision commerciales structurelles, les ministres du Commerce de l’UE dépossèdent ainsi définitivement les peuples d’un droit de regard sur la politique générale de l’Union européenne. Il convient au passage de signaler que cette décision émane de représentants de gouvernements élus qui ne représentent pas ici l’intérêt général mais se soumettent au diktat des intérêts de quelques lobbys. En effet, cet achèvement définitif du processus commencé en 1986 avec l’Acte Unique fige dans le marbre les principes du libre-échange et de la déréglementation, dans une sorte de fin de l’Histoire post-démocratique. Or, quand bien même ces traités de libre-échange seraient utiles pour les citoyens européens (ce qui n’est pas le cas, le CETA allant par exemple à rebours de l’impératif de protection des agriculteurs, des fonctionnaires et des employés), leur adoption en-dehors de tout débat démocratique serait moralement inacceptable. Comment peut-on donner des leçons de démocratie aux Russes, aux Turcs ou aux Iraniens, quand on n’est pas capable d’avoir un débat politique serein sur le choix de politique commerciale du continent européen ?
L’exemple russe montre d’ailleurs toutes les incohérences de la politique commerciale de l’UE, qui impose d’un côté un libre-échange mortifère avec certains pays et, d’un autre côté, limite envers et contre tout les échanges avec notre voisin qu’est la Russie. L’embargo russe, qui est une réaction au régime des sanctions initié par l’UE en mars 2014, a pesé lourdement sur le secteur agricole en termes de pertes de marché à l’export. On voit bien ici le caractère idéologique qui préside aux orientations de politique commerciale et douanière de la part des dirigeants européens.
A quoi sert le politique ?
Se laver les mains comme Ponce-Pilate et laisser les mains libres aux technocrates soumis aux lobbys pour négocier les accords commerciaux à venir, voilà qui interroge sur ce qu’est devenu le politique. Alors que ce dernier devrait être, comme dans toutes les autres régions du monde, un régulateur des flux économiques, par un protectionnisme raisonnable et pragmatique, mais bien réel, il semble au contraire que la loi du marché ait pris le pas sur la loi des États. Ceci concourt à la montée globale des populismes en Europe, dont l’Italie nous fournit un exemple récent.
Voilà pourquoi, plus que jamais, la France a besoin d’une alternative politique raisonnable, qui puisse redonner une consistance et un sens à l’action politique, sans verser dans la rhétorique excessive des populistes. Notre France propose cette alternative.