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Henri Guaino : « La primauté du droit européen est une impasse démocratique »

GRAND ENTRETIEN – Observateur avisé de la vie publique, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy propose de revenir au principe dit de «loi écran», qui prévalait avant 1975 et qui donnait le dernier mot au législateur français.

Entretien tiré du Figaro du 26/10/2021

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LE FIGARO. – Le thème du droit européen s’impose dans la campagne. Le lundi 18 octobre, Emmanuel Macron a condamné les remises en cause de celui-ci, fustigeant une «vieille maladie française». Qu’est-ce que cette déclaration vous inspire?

 

Henri GUAINO. – Que c’est tragique de ne pas avoir pris conscience de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes enfermés, en oubliant au passage la virulence avec laquelle son gouvernement fustigeait en 2019 la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’interdire la fusion entre Alstom et Siemens et j’entends aujourd’hui le procès non moins virulent qu’il fait aux règles du marché européen de l’électricité.

 

Est-ce réellement «une spécificité française»? Rappelons que, dans son fameux arrêt du 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle fédérale allemande prévenait que «la République fédérale d’Allemagne ne reconnaît pas une primauté absolue d’application du droit de l’Union»…

 

La Cour de Karlsruhe rappelle souvent que c’est le peuple allemand qui détient in fine ce qu’elle appelle «la compétence de la compétence», qui est une définition de la souveraineté. On pourrait citer aussi la décision de la Cour suprême espagnole, qui, l’année dernière, a maintenu en prison l’indépendantiste catalan Oriol Junquéras en passant outre l’arrêt de la Cour européenne, qui avait confirmé son immunité de député européen.

 

On peut aussi penser le plus grand mal, si l’on veut, de la réforme judiciaire polonaise, mais, en évoquant le principe de la primauté de la Constitution sur les traités européens, la Cour constitutionnelle polonaise n’a fait que rappeler un principe général selon lequel aucune norme juridique, fut-elle européenne, n’est applicable dans un pays si elle est contraire à sa constitution. En France, ce principe a été consacré par le Conseil constitutionnel et étendu au respect des règles et des principes «inhérents à l’identité constitutionnelle de la France». Les constitutions prévalent sur les traités européens, même si la Cour de justice et la Commission européenne pensent le contraire. La loi, en revanche, est subordonnée aux traités.

 

Emmanuel Macron rappelle que nous avons signé, puis ratifié souverainement les textes et les traités… La signature de la France ne doit-elle pas être respectée et défendue?

 

La souveraineté, pour une nation, c’est d’abord le droit imprescriptible pour celle-ci de défaire ou de modifier ce qu’elle a fait. Sinon, il faut commencer par supprimer les élections. Nul ne peut préempter la souveraineté pour l’avenir à travers des engagements irréversibles. Or, de traité en traité, de directive en directive, de jurisprudence en jurisprudence, l’on a construit un système où l’on peut de moins en moins changer de choses sans le consentement des autres, et plus seulement pour ce qui concerne les relations entre les États, comme c’était le cas auparavant, mais aussi désormais de plus en plus dans l’organisation même de la société. C’est démocratiquement intenable.

 

«Notre justice se construit désormais dans le dialogue des juges au niveau européen. Ce dialogue a accompagné la construction politique de l’UE, il l’a précédé», explique Emmanuel Macron. Cela pose la question de la place des juges dans la démocratie. Quel doit être ce rôle?

 

Ayant le pouvoir d’écarter l’application de la loi au profit des directives européennes ainsi que des conventions et des traités internationaux, le juge devient juge de la loi qu’il est censé faire respecter. Cette prérogative réservée jadis au Conseil constitutionnel s’est étendue au juge judiciaire et administratif.

 

Ce glissement s’inscrit de plus dans une tendance de fond qui porte partout les juges à donner aux grandes déclarations de principes une portée juridique, comme l’a fait à partir de 1971 le Conseil constitutionnel avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui l’a conduit à conférer une valeur juridique à la fraternité. Et, à chaque fois que de nouveaux grands principes de portée très générale sont introduits dans des traités ou dans la Constitution, on donne à tous les juges des opportunités supplémentaires de juger la loi. Ce qui fait que le droit se fabrique désormais davantage dans l’entre-soi des juges, que les juristes appellent pudiquement le «dialogue des juridictions», que dans les assemblées élues par les peuples et responsables devant eux.

 

En 2011, nous avons échappé de justesse à ce que le contrôle du respect des règles budgétaires et donc des politiques économiques soit confié aux juges de la Cour de justice. Un jour, si l’on n’y met pas un frein, ce contrôle sortira peut-être du chapeau du «dialogue des juridictions». Dans ce nouvel ordre juridique, les gouvernements se trouvent de plus en plus souvent sommés de venir se justifier de leur politique devant les tribunaux plutôt que devant les parlements.

 

Iriez-vous jusqu’à parler de gouvernement des juges?

 

Tout concourt aujourd’hui à nous y conduire. Dès lors que l’on veut faire la démocratie par le droit et non plus le droit par la démocratie, le pouvoir échappe aux institutions politiques et se trouve transféré de plus en plus aux juridictions et aux autorités indépendantes. C’est le modèle que promeut l’Union européenne, qui se construit sur la dépolitisation de la société et de l’économie.

 

L’Union européenne n’a-t-elle pas raison néanmoins de s’inquiéter de la remise en cause de l’indépendance de la justice en Hongrie et en Pologne?

 

Quoi que l’on pense des gouvernements polonais et hongrois, la Commission et la Cour de justice doivent veiller à ne pas aller trop loin sur ce terrain. Il faut bien mesurer les conséquences de cette immixtion si elle va trop loin. Il y a par exemple beaucoup de gens en Europe qui pensent que la laïcité à la française ou l’assimilation sont des atteintes très graves aux libertés fondamentales ou que la justice n’est pas indépendante quand le Parquet ne l’est pas.

 

Est-ce que nous devrions laisser la Cour de justice de l’Union ou la CEDH en décider à la place des Français, comme dans un État fédéral? L’Europe fédérale, qui avance masquée, c’est le grand vice de la construction européenne actuelle, qui voit les peuples se retourner contre elle au fur et à mesure qu’ils ont le sentiment de ne plus avoir de prise sur rien.

 

Michel Barnier a défendu, à la stupéfaction de nombreux de ses anciens collègues à Bruxelles, la nécessité d’une «souveraineté juridique», mais seulement en matière d’immigration, car il y aura «d’autres Brexit» si rien ne change. Qu’en pensez-vous ?

 

Cela témoigne de la part d’une personnalité qui a consacré une bonne partie de sa vie à l’Europe d’une prise de conscience de l’impasse démocratique dans laquelle nous nous trouvons.

 

Xavier Bertrand a proposé, pour sa part, d’introduire dans la Constitution «un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France»? Éric Ciotti souhaite «modifier l’article 55 de la Constitution pour affirmer la primauté de la Constitution sur les décisions européennes» tandis que Valérie Pécresse conteste la primauté du droit européen sur les «identités constitutionnelles» des États membres de l’UE. Que vous inspirent ces propositions? Sont-elles le signe d’un basculement idéologique à droite, y compris de personnalités plutôt européistes jusqu’ici?

 

Cela témoigne surtout de la difficulté de plus en plus grande à se présenter devant les électeurs en leur faisant des promesses que l’on ne tiendra pas si l’on ne change pas l’ordre juridique actuel. Mais les propositions visant à faire prévaloir la Constitution sur les traités européens sont inutiles puisque c’est déjà le cas et les propositions visant à sauvegarder les intérêts supérieurs de la France sont des faux-semblants si elles aboutissent à confier au juge la définition de cet intérêt supérieur.

 

Faut-il réformer la constitution?

 

Oui, puisque l’on a inscrit les traités européens dans le texte de celle-ci et que son article 55 pose le principe de la supériorité du traité sur la loi.

 

Que préconisez-vous pour votre part?

 

Le temps est venu d’une révolution juridique, au sens premier du terme. Avant 1975 pour la Cour de cassation et 1989 pour le Conseil d’État, le principe simple et logique qui prévalait était que le juge ne jugeait pas la loi. À la lumière de ce principe fondamental, l’article 55 de la Constitution, qui reconnaît la primauté des traités sur la loi, était interprété de la façon suivante: c’était la dernière expression de la volonté du législateur qui primait.

 

Si la loi était postérieure au traité, elle primait, si la ratification de traité était postérieure à la loi, c’était le traité qui avait la primauté. C’est ce principe dit de «loi écran» qui a été balayé par les jurisprudences, puis par l’inscription de strates européennes dans la Constitution que je propose de rétablir, mais en lui donnant une valeur constitutionnelle. En posant un critère de dates, il aurait l’avantage de ne laisser aucune place à l’interprétation et il s’imposerait à toutes nos juridictions, qui le connaissent bien puisqu’elles l’ont longtemps appliqué.

 

Cette révolution juridique ne détricoterait-elle pas toute la construction européenne?

 

Le principe de la loi écran appliqué dans notre droit public jusqu’à la fin des années 1980 n’a ni empêché de construire le marché commun ni détruit l’Europe. Le but est de se donner les moyens de réorienter progressivement la construction européenne en la sortant de son impasse démocratique, pas de la détruire. D’abord, il faut sortir du tout ou rien qui dit: soit vous appliquez toutes les dispositions des traités, soit vous les dénoncez en bloc et vous sortez de l’Union. Ce tout ou rien ne laisse qu’une échappatoire: essayer de renégocier de nouveaux traités.

 

L’expérience nous a appris que, même après un accord des chefs d’État et de gouvernement sur un traité simplifié, l’écriture du texte par vingt-sept diplomaties plus les eurocrates accouchera toujours d’un monstre. Quant à la renégociation au cas par cas, si elle est préférable, elle a pour seul levier, dans le système actuel, ce que les responsables politiques nomment «’influence de la France en Europe et sa capacité à construire des majorités», qui est le cache-misère de notre impuissance, comme le montre l’exemple en forme de serpent de mer du statut des travailleurs détachés, toujours pas réglé.

 

Si l’on en reste là, inutile de parler de maîtrise des flux migratoires, de réindustrialisation, de relocalisations, d’électricité à bon marché, de politique de la commande publique. Le retour à la primauté de la dernière manifestation de la volonté du législateur aurait le mérite de remettre l’exécutif et la majorité parlementaire face à leur responsabilité politique, qu’ils ont trop souvent tendance à fuir, et de créer un levier dans la négociation puisque, tant qu’il n’y aurait pas de nouvel accord, l’application du texte incriminé pourrait être suspendue par l’effet de la loi. C’est la transposition de la méthode gaullienne de «la chaise vide» et l’esprit du compromis de Luxembourg qui avaient conclu cette crise finalement salutaire. Aux gouvernants d’utiliser ce levier avec discernement.

 

Mais le risque n’est-il pas grand que les gouvernements ne fassent pas preuve de ce discernement?

 

Oui, c’est un risque. Mais, si l’on veut supprimer le risque que les électeurs choisissent des dirigeants qui manquent de discernement, il faut liquider la démocratie, ou au moins réduire sa part et celle de la responsabilité politique à la portion congrue. C’est ce que veulent au fond les adeptes de la démocratie par le droit et c’est le sens dans lequel évolue le droit européen depuis plusieurs décennies. Mais en vertu de quoi les juges auraient-ils plus de discernement que les gouvernements, les parlementaires et ceux qui les élisent?

 

Faudra-t-il en passer par un référendum?

 

Oui. C’est aux Français de trancher. Dans le même temps, il faudra réformer la Constitution sur un autre point pour tirer les leçons de Lisbonne: réformer l’article 89 pour que, s’agissant de réformes constitutionnelles liées à des traités, le dernier mot revienne toujours au peuple. Il faut nous réhabituer au référendum.

 

Emmanuel Macron a défendu la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue, selon lui, un outil fondamental «pour défendre les droits de l’homme». Faut-il sortir de la CEDH, comme certains le préconisent?

 

Non, pas plus que de l’Union européenne. Elle est quand même bien utile pour la protection des libertés, notamment en matière de liberté d’expression, ou face à des excès de nos institutions judiciaires. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut accepter toutes ses décisions, comme celle qui a condamné la France pour l’interdiction des syndicats dans l’armée… Constitutionnalisons le principe de la loi écran et les problèmes que ses décisions peuvent parfois nous poser seront résolus.

« Dans le monde qui vient, il y aura plus d’Etat, de nation et de frontières. Le monde sera plus gaullien »

GRAND ENTRETIEN – De Gaulle se méfiait des patrons et la réciproque était vraie. Aujourd’hui encore, le fondateur de la Ve République n’est guère apprécié des milieux économiques qui le jugent trop «étatiste». Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, fait figure d’exception. Dans un essai percutant, il nous invite à redécouvrir la politique et la pensée économiques de l’homme du 18 Juin. Il en débat avec Henri Guaino, gaulliste de toujours.

Entretien tiré du Figaro du 24/09/2021

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Geoffroy Roux de Bézieux, vous avez souhaité traiter la question de De Gaulle sous l’angle de l’économie. Peut-on affirmer qu’il avait une doctrine économique?

 

Geoffroy ROUX DE BÉZIEUX. – J’ai écrit ce livre pour essayer de démythifier certaines idées préconçues sur le général de Gaulle et l’économie. Tout d’abord, il s’intéressait à l’économie! Et même depuis le début de sa carrière. Jeune militaire du rang, n’ayant pas eu de formation politique, il donne une conférence quand il est prisonnier et parle d’économie. Il avait un certain nombre de fondamentaux, autour de la rigueur budgétaire, autour de l’inflation. On peut considérer que c’est un ordo-libéral, c’est-à-dire quelqu’un qui considère que l’économie de marché est nécessaire mais pas suffisante. Par contre, il a su s’adapter formidablement aux circonstances et faire preuve de pragmatisme. En s’alliant avec des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec lui ou en faisant travailler des personnes aux avis contradictoires. Et puis en sachant s’adapter à chaque période et en analysant les priorités: la reconstruction en 1945, le rétablissement des finances publiques en 1958 et la contribution à la croissance du pays au début des Trente Glorieuses.

 

Est-ce que cela fait une doctrine? Cela fait des points d’ancrage, des certitudes, des caps mais cela ne fait pas une doctrine. Mais j’ai envie de vous dire, et c’est peut-être osé pour le président du Mouvement des entreprises de France de vous dire ça, est-ce que les doctrines fonctionnent en économie?

 

Henri GUAINO . – D’abord je voudrais dire que je trouve de bon augure que le président du Medef prenne le temps d’écrire un livre sur de Gaulle et l’économie. Ce livre, par la qualité de son auteur, témoigne d’une prise de conscience au moins dans une partie du patronat que le monde est en train de changer et que nous entrons dans une ère nouvelle. Je crois qu’il est important de comprendre que nous entrons dans une période gaullienne de l’Histoire, c’est-à-dire une période où nous allons devoir relever des défis de même nature que ceux auxquels le général de Gaulle a été confronté en son temps. Cette prise de conscience ne doit pas conduire à chercher chez de Gaulle les éléments d’une doctrine rigide, et encore moins en économie qu’ailleurs. Les doctrines ne fonctionnent pas en économie. On ne fait pas de la bonne économie avec des recettes toutes faites puisées dans des catéchismes. Il y a bien une science économique qui nous aide à penser. Mais dans la vie réelle, l’économie est aux prises avec la psychologie humaine et la complexité des sociétés. Dans «politique économique», il y a «économique» mais il y a surtout «politique» et il faut faire, comme le disait le général de Gaulle contre les doctrinaires et les idéologues, la politique à partir des réalités et des circonstances. Cela ne veut pas dire que le gaullisme n’était qu’un “pragmatisme” dans lequel on peut mettre tout et n’importe quoi. De Gaulle a toujours refusé qu’on écrive une doctrine du gaullisme, mais il avait des principes et une pensée. Il disait “je ne veux pas que le gaullisme devienne une religion, pour autant cela ne veut pas dire que je marche sans savoir où je vais”.

 

Le gaullisme n’est pas une doctrine mais une histoire et la question est de savoir si cette histoire a encore quelque chose à nous apprendre pour aujourd’hui et pour l’avenir, et c’est tout l’intérêt de la démarche suivie par ce livre. Nous entrons dans un monde travaillé par le retour des refoulés identitaires, culturels, religieux, nationaux et d’énormes tensions sociales et dans lequel il y aura demain plus de nation, plus d’État, plus de frontières, au bout du compte plus de politique. Pour le meilleur ou pour le pire, mais c’est la réalité du monde qui vient.

 

La crise des sous-marins est-elle un symptôme de ce changement d’ère que vous décrivez Henri Guaino?

 

Henri Guaino – Oui. C’est même un basculement. L’annulation du contrat sur les sous-marins australiens n’est que la partie visible d’une rupture géopolitique radicale. Le partenariat stratégique que les États-Unis viennent de conclure avec l’Australie et le Royaume-Uni, ouvertement dirigé contre la Chine, dans le dos de leurs autres alliés et au mépris des engagements sur la non-prolifération du nucléaire militaire, est peut-être le premier acte d’une nouvelle guerre froide qui pourrait bien fragmenter très profondément le monde global qui était l’idéal né de la précédente guerre froide. Les Américains ont toujours eu tendance à traiter leurs alliés en vassaux, d’où leurs démêlés jadis avec la France gaullienne qui ne voulait pas se laisser entraîner par eux dans des guerres qu’elle n’aurait pas voulues et comme ce fut encore le cas avec Chirac lors de la deuxième guerre d’Irak. Mais là, une limite a été franchie. La France en particulier qui a de grands intérêts dans le pacifique et l’Europe en général sont mises au pied du mur de leurs alliances et contraintes de s’interroger sur le rôle qu’elles entendent jouer dans la géopolitique du monde qui vient.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Le général de Gaulle disait que «les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts». Cette affaire en est une criante illustration et doit nous rappeler à quel point notre autonomie stratégique doit s’appuyer sur notre puissance économique. De Gaulle l’avait compris et n’hésitait pas à affirmer l’indépendance de la France. Il le fit notamment en 1966 en quittant le commandement intégré de l’Otan. Au-delà du coup d’éclat diplomatique, il affirmait sa volonté de retrouver la souveraineté nationale. Nous avons certes changé d’époque, mais cela ne doit pas nous conduire à être naïfs. Paradoxalement, c’est un retour à une forme de guerre froide entre la Chine et les États-Unis à laquelle nous assistons. Et les États-Unis tournent le dos à la Vieille Europe. Au-delà de la forme de la décision, celle-ci nous amène à reconsidérer notre vision du monde et donc des alliances militaires et diplomatiques.

 

À l’heure où la France semble dépendante de la Chine et ne semble plus en capacité de produire des masques et même un certain nombre de médicaments notamment, faut-il se poser la question du protectionnisme? Peut-on dire que de Gaulle était protectionniste?

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Peyrefitte raconte que de Gaulle disait: «les entrepreneurs français n’entreprennent pas et n’exportent pas, il faut que je m’occupe de tout». À côté de ça, quand General Electric veut racheter Bull, il s’y oppose. Pour lui, la puissance d’un pays dépend de sa puissance économique et donc de la puissance de ses entreprises. Il faut être capable de défendre ses intérêts. Avec une sous question qui n’est pas simple au XXIe siècle, quelle est la nationalité des entreprises? De Gaulle n’était ni protectionniste, ni libre-échangiste. Il était offensif à l’extérieur, défensif à l’intérieur. À l’époque, plutôt au niveau des frontières hexagonales. Aujourd’hui, il faut raisonner au niveau européen.

 

Une des choses que de Gaulle a tentées mais n’a jamais réussi, c’est de créer une Europe qui soit à mi-distance ou à bonne distance de l’URSS et des États-Unis. À l’époque les Américains avaient sauvé l’Europe et toute l’Europe du nord avec qui a été cofondée ce qu’on appelait à l’époque la Communauté économique, était profondément atlantiste. Et donc, il s’y est heurté et cela n’a pas fonctionné.

 

Aujourd’hui, nous dépendons de la Chine pour nombre de produits manufacturés, mais aussi énormément des États-Unis pour beaucoup de produits non-manufacturés. Dans ce sujet, il y a une double dépendance, et ce n’est qu’au niveau de l’Europe qu’on peut avoir une autonomie stratégique ou une souveraineté, mot qui ne me choque pas.

 

La prise de conscience a démarré. Le discours tenu par Thierry Breton à la Rencontre des entrepreneurs de France cette année est assez proche de cela. Il faut se tenir à bonne distance de chaque bloc. C’est pour cela que la notion de camp occidental est fragilisée, surtout quand on voit à quelle vitesse les Américains sont partis de Kaboul.

 

Ce n’est pas le protectionnisme qu’il faut réactualiser aujourd’hui, c’est le juste échange, avec des règles équivalentes. Des règles de fiscalité, du droit du travail et des normes écologiques. Au Mouvement des Entreprises de France, nous soutenons une taxe carbone aux frontières de l’Europe (ça n’arrive pas très souvent que nous soutenions une taxe!), qui permet un rééquilibrage des conditions de concurrence.

 

Après, que le meilleur gagne! Si les entreprises d’autres continents, à conditions équivalentes, se révèlent plus performantes, parce qu’elles innovent, parce qu’elles inventent davantage, nous devons l’assumer.

 

On pensait tous, comme Bill Clinton lorsqu’il a fait entrer la Chine dans l’OMC, que le «doux commerce» de Montesquieu amènerait toutes les nations à devenir des démocraties libérales. On a oublié l’histoire: la Chine a subi des siècles de domination et souhaite redevenir l’empire qu’elle était il y a des siècles. C’est le retour des États-nations, en cela c’est un moment assez gaullien.

 

Henri Guaino – Juste échange, protectionnisme, les mots importent peu. Les États-Unis et la Chine ont déjà fait voler en éclat la religion du libre-échange dont les peuples, en Europe et en Amérique du nord ne supportent plus les conséquences parce que l’on est allé trop loin, justement au nom de la doctrine. La question maintenant est de savoir si les pays européens acceptent ou non d’être les dindons de la farce des guerres commerciales et juridiques que les États-Unis mènent par tous les moyens contre leurs propres partenaires et alliés, des routes de la soie et de l’impérialisme chinois et quels moyens ils se donnent pour protéger leurs intérêts et la cohésion de leur société. Sinon, plus encore que le déclin il faut craindre la colère des peuples. Le modèle de mondialisation que l’Occident avait construit sans voir qu’il le construisait en partie contre lui-même appartient déjà au passé. En économie aussi les frontières reviennent. Il faut regarder cette réalité telle qu’elle est et s’organiser pour y faire face.

 

Je me souviens d’un grand banquier américain qui, pendant la crise financière, avait raconté au président de la République qu’un matin il s’était réveillé avec 200 personnes qui faisaient le tour de sa maison avec des pancartes sur lesquelles était écrit: «voleur rendez l’argent». Il avait ajouté «ça fait un drôle d’effet». Les peuples n’ont pas toujours raison, les passions populaires non plus, mais elles ont le dernier mot et elles ne s’arrêtent pas aux portes de l’économie.

 

De Gaulle n’était, en effet, ni un doctrinaire du protectionnisme, ni un doctrinaire du libre-échange. L’histoire économique devrait d’ailleurs nous dissuader de l’un comme de l’autre. Tout en entendant tous les avis éclairés, De Gaulle ne se posait toujours qu’une seule question: dans les circonstances actuelles, où est l’intérêt de la France? Après la guerre, il nationalise les grandes banques de dépôts et les compagnies d’assurance et, en 1958, il fait entrer l’économie française dans le marché commun.

 

Ce qui me frappe beaucoup aujourd’hui, c’est qu’on a transformé, surtout en Europe, beaucoup de choses en religions qui n’ont pas de raison d’être des religions. Le protectionnisme, le libre-échange, la concurrence ne sont pas des religions. Ils ne doivent pas l’être. L’Europe paye cher de l’avoir oublié.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Moi je préfère voir le verre à moitié plein.

 

Globalement, les traités de libre-échange ont quand même, depuis 1945, créé une prospérité mondiale. Certes, elle a davantage profité aux pays émergents, toutes choses égales par ailleurs. Il existe cette fameuse courbe de l’éléphant qui montre que les perdants de cette affaire sont les classes moyennes et populaires occidentales et les gagnants, entre guillemets, ce sont les classes moyennes et supérieures des pays émergents. Mais collectivement, nous avons réussi à éradiquer la faim dans le monde.

 

Henri Guaino – Le problème c’est encore et toujours celui des limites. jusqu’où va-t-on? Le protectionnisme absolu c’est mortifère, le libre-échange absolu l’est tout autant. Le tout État est mortifère, l’extrême faiblesse de l’État aussi. Selon les pays, les époques, l’état des techniques, l’état de la société, le curseur ne peut pas être au même endroit. La difficulté est de ne pas aller trop loin dans un sens ou dans l’autre. Les traités actuels de libre-échange sont des aberrations.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Où mettez-vous la France? Y a-t-il trop d’État ou pas assez d’État?

 

Henri Guaino – Il y a trop de bureaucratie, et pas assez d’État. On passe son temps depuis des décennies à détruire l’État au nom de l’idéologie de l’État minimum cantonné aux missions régaliennes sans que l’on sache vraiment ce que cela veut dire ni tracer une frontière claire entre le régalien et le non régalien. Résultat: plus rien ne fonctionne. Dans l’histoire l’affaissement de l’autorité de l’État est toujours corrélé à l’explosion de la bureaucratie. L’État gaullien avait plus d’autorité et était beaucoup moins bureaucratique. Reconstruire l’État est une priorité. Dans le monde tel qu’il est, dans l’époque où nous entrons, nous ne reconstruirons ni la société ni l’économie, nous n’affronterons pas les crises à venir avec un État faible.

 

Geoffroy Roux de Bézieux, face aux nouveaux défis qui se présentent à nous, vous reprenez à votre compte le concept de «souveraineté européenne» défendu par Emmanuel Macron? Henri Guaino, que pensez-vous de ce concept? De Gaulle se serait-il reconnu dans cette expression?

 

Henri Guaino – Souveraineté et indépendance ne sont pas la même chose. De Gaulle était pour l’indépendance de l’Europe, pas pour la souveraineté de l’Europe. La souveraineté n’est pas quelque chose qu’on partage. Elle est dans le pouvoir ultime d’une personne ou d’un peuple de dire «non». Elle est en réalité imprescriptible. On peut renoncer à l’exercer mais pas en être privé. Il n’y aura plus de souveraineté nationale quand il n’y aura plus de peuple français. Ce qui est catastrophique, c’est précisément d’avoir renoncé à l’exercer, à dire «non» comme l’avait fait de Gaulle avec l’Otan ou avec la politique de la chaise vide. Il nous faut réapprendre à dire parfois «non». L’indépendance de l’Europe, c’est autre chose. Le grand dessein gaullien d’une Europe indépendante des deux blocs est un objectif auquel il faut travailler.

 

Mais qui en Europe la veut, cette indépendance? L’Europe de la défense n’existe pas et, au fond, c’est tant mieux parce que les divergences d’appréciation des intérêts nationaux conduiraient, si elle se faisait, à ce qu’il n’y ait plus de défense du tout. La défense, c’est la volonté de se défendre, disait Malraux. Mais qui en Europe a cette volonté, à part la France? Il est temps que nous construisions l’Europe sur des réalités et non sur des chimères qui ne font que nous rendre impuissants.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Je ne vais pas contester la définition du mot «souveraineté» à Henri Guaino, ce serait malvenu mais parlons d’autonomie stratégique. L’objectif, c’est que notre pays soit indépendant des grands blocs et d’avoir, sur un certain nombre de sujets, une autonomie de décision et d’action. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que c’est le général de Gaulle qui a fait la règle de l’unanimité et malheureusement, il l’avait pensée à six. Et là, pour une fois, il a manqué de prescience, si j’ose dire. Parce qu’à 27, ça ne fonctionne plus. Il faut des cercles concentriques avec des règles différentes et des coopérations différentes. Il faut une Europe indépendante et autonome stratégiquement. Mais la difficulté d’être indépendant stratégiquement, c’est que les intérêts des 27 pays ne coïncident pas. Nous avons trop élargi l’Europe sans redéfinir les règles de son fonctionnement. Je crois à des coopérations bilatérales ou à plusieurs pays. Je crois à une défense européenne dans laquelle la France a le leadership et défend l’Europe. Cela signifie qu’on devrait avoir des pays qui y contribuent financièrement.

 

De Gaulle est souvent qualifié d’étatiste. Est-ce le cas? L’État peut-il être stratège en matière d’économie ?

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Il faut se souvenir que quand de Gaulle était au pouvoir, le poids de l’État, non pas au sens de son autorité, mais au sens du nombre de fonctionnaires, du poids des prélèvements obligatoires, de la dépense publique, était largement inférieur au poids de l’État aujourd’hui. En revanche, il y avait une autorité de l’État et une efficacité qui n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Après, est-ce que de Gaulle était étatiste? C’est bien lui qui nationalise en 1945 un certain nombre d’entreprises. Les investissements lourds de reconstruction et d’industrialisation nécessitaient l’argent de l’État. Donc, sur ces points, il peut paraître étatiste. Mais quelques années après, dans un rôle tactique d’opposition, il critique très vite les nationalisations en regrettant d’avoir donné les clés à la CGT. Il s’est ensuite bien gardé de renationaliser en 1958.

 

Sur la question de l’État stratège: le monde économique ne critique pas l’État en tant que tel. Mais plutôt le poids grandissant de l’administration et la dérive bureaucratique. Ce n’est pas une critique des fonctionnaires et des individus, c’est le côté orwellien de l’État qui norme tout dans les moindres détails, avec quelquefois un luxe de précautions.

 

Pendant la pandémie, les entreprises ont appliqué un protocole national prévoyant les mesures à respecter. Trente pages de procédures, parfois de bon sens mais aussi souvent d’une complexité effarante. On sent bien la patte du ministère de la Santé qui, enfermé dans ses certitudes technocratiques, finit par infantiliser les chefs d’entreprise et les salariés aussi.

 

Donc la critique ne portait pas sur l’État en tant qu’incarnation de l’autorité, de la volonté politique et de la souveraineté du peuple, mais plutôt sur l’administration. En revanche, je suis favorable à un État stratège. Ou tout au moins stratège au niveau européen. Un État, qui, dans certains cas, va même jusqu’à investir. Pourquoi? Parce qu’il y a des horizons de temps qui quelquefois ne sont pas rentables économiquement et quand le capital privé ne trouve pas une rentabilité à cinq ou dix ans, quand les bénéfices ne peuvent pas être anticipés, seul l’État peut agir.

 

Cependant, le problème de l’État stratège, c’est qu’il se trompe souvent de stratégie!

 

Henri Guaino – Il n’est pas le seul!

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Mais il se trompe plus souvent que l’intérêt privé, pour une raison simple. C’est parce que lorsqu’il fait ses choix, il emmène toutes les entreprises. C’est la grande erreur de Gaulle dans l’innovation: il ne mesure pas la révolution des années 1960 en matière d’innovation, ce qui est assez logique de par sa formation. Au moment où il lance le plan calcul, au moment il crée un centre de planification, un Français enclenche une révolution de l’autre côté de l’Atlantique. C’est un Français, Georges Doriot, professeur à Harvard, qui crée la première société de capital-risque américaine. C’est amusant que le capital-risque américain soit créé par un Français.

 

Et c’est le début d’un cycle d’innovation incroyable qui a fait la puissance des États-Unis. Parce que la puissance des États-Unis ce n’est pas Ford et Général Motors aujourd’hui, c’est Facebook, c’est Microsoft, etc. Et ça, c’est né par un principe d’innovation totalement darwinien où l’État met en place un système d’éducation avec les universités américaines, met en place un système de financement avec le capital-risque. Il est donc stratège mais il laisse faire le marché, il laisse faire le Darwinisme. Il y a énormément d’échecs puisque pour 100 start-up qui démarrent, pour 100 Google, il y en a eu 99 dont on a jamais entendu parler.

 

Et ce principe-là, c’est la bonne manière de concevoir l’État stratège. Contrairement à l’autre qu’on peut appeler colbertiste, qui désigne une manière plus dirigiste. Cette méthode affirme que c’est l’État qui va faire les choix, et qu’il va rentrer dans le détail de ces choix. Avec des fonctionnaires qui ne sont pas équipés pour ça et parce que la sélection naturelle ne se fait pas, on va à l’échec.

 

Puis, le dernier élément sur l’État stratège que de Gaulle ne pouvait pas prévoir, c’est le défi écologique.

 

Nous sommes face à quelque chose que le capitalisme n’a jamais connu. Il va falloir changer notre modèle de production avec aucun retour économique. Il faut le dire, ce n’est pas politiquement correct, mais produire décarboné coûte plus cher. Si ce n’était pas le cas, on l’aurait déjà fait. Cela signifie que tous les investissements de la transition sont des investissements non rentables.

 

Nous sommes donc face à quelque chose qui ne ressemble à rien de connu parce que les autres transitions technologiques étaient des transitions de techniques. Avec la machine à vapeur, l’électricité, on perdait certes de l’argent à court terme, mais il y avait un espoir de gain à long terme. L’entrepreneur qui crée une fabrique de voiture ou d’avion en 1920 a quelques années après un espoir de gain. Là, il n’y a pas d’espoir de gain. Le seul espoir c’est de sauver la planète. Et là, l’État stratège a un rôle majeur à jouer.

 

Cela me permet de dire aussi que nous sommes victimes, nous les entrepreneurs français et européens, d’une série d’injonctions contradictoires permanente parce que les règlements s’enchaînent sans aucune cohérence. Il n’y a pas de stratégie alors que c’est le sujet majeur qui doit nous occuper en tant que citoyens. Nous avons besoin d’un État stratège qui nous donne le cap, d’un gaullisme écologique, si j’ose dire, avec une vision de long terme.

 

Henri Guaino – La crise des années 1930 et celle de 2008 ont entraîné toute l’économie mondiale, et ce n’était pas du fait de l’État. Quant à l’étatisme, c’est une idéologie qui veut mettre l’État dans toutes choses. De Gaulle n’a jamais cédé à cette tentation. Mais il considérait à juste titre que notre histoire, notre culture, notre éternelle propension à la division appelaient l’État à jouer plus qu’ailleurs un rôle éminent. Il pensait que lorsque l’État allait mal, la France ne pouvait pas aller bien. Il voyait bien que tous les redressements, toutes les résurrections de la France ont commencé par une reconstruction de l’État. Après, se pose la question de savoir de quel État l’on parle. Je m’arrêterais sur l’exemple de ce que De Gaulle appelait l’ardente obligation du Plan que vous abordez dans votre livre avec une honnêteté intellectuelle et une compréhension qui sur ce sujet ne sont pas souvent de mise dans les milieux économiques d’aujourd’hui, souvent, il faut le dire par inculture. Il y a hélas beaucoup de gens pour lesquels le mot Plan est un gros mot, un mot qui parle de collectivisme. Mais c’est absurde. Tout le monde fait des plans. Les individus font des plans, les entreprises font des plans. Il y a toutes sortes de plans. Mais comme vous le rappelez, le plan français, ce n’était pas le Gossplan soviétique et c’est un libéral, Jean Monnet, qui l’a conçu.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Permettez-moi une petite parenthèse. C’était aussi une autre surprise en écrivant ce livre: ce sont les Américains qui demandaient un plan. C’est étonnant quand même.

 

Henri Guaino – Et ça a été une très grande réussite. Pour reconstruire l’économie après la guerre, il fallait que tout le monde se coordonne. C’est quelque chose que le marché livré à lui-même ne pouvait pas faire. Monnet disait que l’on ne manquait pas de plans car tout le monde avait le sien. Mais il fallait asseoir tout le monde à la même table et en particulier les syndicats. Il n’a d’ailleurs pas créé les lois de plan qui viendront plus tard, mais le Commissariat du Plan, c’est-à-dire un lieu de travail en commun et de ce que l’on appellerait aujourd’hui le dialogue social mais pas seulement pour se parler ou négocier mais pour accoucher véritablement d’un projet commun. Et ça a marché. C’est un lieu qui manque aujourd’hui pour regarder ensemble vers l’avenir dans les bouleversements du monde et les grands-messes des sommets sociaux ne remplacent pas les relations et la confiance qui se forgeaient dans ce lieu de travail collectif, à l’abri des jeux de rôles. Le Plan a disparu non pas parce que le besoin d’organiser ensemble l’avenir se serait estompé, mais parce que les gouvernants ont cessé de s’y intéresser.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – On est en 1945. Les années de guerre ont cassé les armures. Je fais juste une petite parenthèse mais il y a eu quelques moments pendant la pandémie, quand ça allait vraiment mal, durant lesquels les partenaires sociaux ont laissé un peu tomber les armures. Après chacun a remis son costume.

 

Henri Guaino – Reposer la question du Plan c’est reposer aussi la question fondamentale de l’articulation entre la puissance publique et les entrepreneurs. Dans l’histoire, c’est toujours de cette articulation réussie que sont nées dans les grandes réussites économiques.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Le mot «Plan», c’est un peu comme «protectionnisme» il a une connotation historique. On pense au Gosplan soviétique… Comme le mot «souveraineté», tout dépend de ce qu’on met derrière.

 

Le Plan à la française des années 1960, c’était un plan finalement assez indicatif, qui donnait la direction.

 

Le problème, c’est lorsqu’on passe à l’exécution. Au lieu de laisser faire ou de faire faire, l’État veut faire seul. Et la tentation est permanente, on le voit encore aujourd’hui dans certains cas d’intervention. La difficulté pour le politique, c’est qu’une fois qu’il a trouvé un accord avec les partenaires sociaux, il a envie de garder le casque de pompier et de descendre dans l’arène. Il faut accepter les micro-acteurs parce que l’invention, la disruption, la création, elle vient d’individus libres et pas de fonctionnaires. Il n’y a pas les bons et les méchants, c’est que chacun est dans son rôle. Je ne rejette pas l’idée de planifier le développement économique de la France mais il faut bon effort d’articulation.

 

La résurrection du Plan par Macron est-elle une bonne idée?

 

Henri Guaino – Oui l’idée est bonne, mais on ne l’a pas vraiment ressuscité.

 

Le Plan du temps de de Gaulle résultait d’une convergence entre tous les acteurs et d’une conception opérationnelle de l’institution qui était placé au cœur de la machine politico administrative. On a recréé un Commissaire au Plan mais pas un lieu comme le Commissariat du Plan de Monnet ni une institution en prise avec tout l’appareil de l’État. Le moment qui plus est était mal choisi puisque le plan de relance était déjà bouclé.

 

Il faut se souvenir que, dès le départ, le Plan était très lié à la problématique de l’investissement public. Le plan Monnet de 1946 est un plan d’investissement massif non seulement pour reconstruire mais aussi pour moderniser. C’est toujours décisif quand on entre dans un nouveau cycle économique. C’était le cas en 1946, c’est aussi le cas aujourd’hui. Et il y a des investissements que l’État est le seul capable de mobiliser, soit directement, soit indirectement. Regardez les Coréens quand ils font un plan sur les microprocesseurs, ils mobilisent 450 milliards de dollars et ils se mettent d’accord sur les rôles de chacun et l’État coordonne. Il ne se pose pas la question de savoir si c’est bien conforme à la doctrine libérale. Ils ne disent pas: le marché arrangera tout.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Deux commentaires. Il faut quand même dire que le plan d’après-guerre, c’était une économie de rattrapage, c’est-à-dire que la direction était facile dans la mesure où on avait un PIB par habitant 20 à 25% en dessous des États-Unis. Au fond, il n’y avait plus qu’à copier le modèle en quelque sorte. Quand on est dans une «économie de la frontière» ou il faut inventer, c’est plus compliqué parce que l’avenir n’est pas écrit. On ne va pas rattraper les États-Unis, on est en compétition avec eux.

 

Je pense que le mot «ressuscité» n’est pas le bon. D’une certaine manière, il faut réinventer autre chose. Le mot “plan” a quelques avantages mais davantage d‘inconvénients parce qu’il suscite tout de suite des oppositions. Aujourd’hui, ce qui est en train de fonctionner, ce sont plutôt des plans sectoriels sur les technologies de rupture. Il y a des technologies de rupture sur lesquelles l’argent privé n’ira pas seul parce que les montants et le délai de retour sur investissement sont trop élevés. Je ne suis pas choqué quand Bruno Le Maire co-investit dans une usine de batteries électriques. J’ai été pendant 12 ans au Conseil de PSA, on voyait bien qu’il y avait un sujet mais du point de vue de l’argent des actionnaires, ce n’était pas un investissement faisable, en tout cas à l’époque. De la même manière, sur les semi-conducteurs, on a redécouvert qu’on était dépendant de Taïwan. Encore une fois, il faut raisonner au niveau Européen. Au fond, il n’aurait peut-être pas fallu prendre ce symbole du Commissariat au Plan trop équivoque. Il aurait fallu peut-être inventer, créer quelque chose de complètement nouveau.

 

Et puis, il y a la planification écologique. Je sais que Jean-Luc Mélenchon a préempté ce terme et je ne voudrais que l’on y voit une proximité idéologique avec lui (rire) mais c’est le défi sur lequel il faut vraiment réfléchir. Le Grenelle ce n’est pas un plan, ce sont des injonctions. La convention citoyenne pour le climat débouche sur des mesures anecdotiques, qui, par ailleurs, ne sont même pas coordonnées entre elles. On a essayé de chiffrer le coût carbone pour les entreprises du plan de la loi climat et résilience. Les chiffres sont aberrants parce qu’il n’y a pas de logique, d’ensemble, de cohérence globale. Il y a 268 articles dans cette loi qui cosmétiquement et médiatiquement peuvent répondre à telle ou telle demande de telle ou telle association, mais le sujet, c’est la planète. Le sujet est massif, il est collectif et il porte sur toute l’économie et donc on ne peut pas y répondre simplement avec un plan vélo. Et j’adore le vélo.

 

Henri Guaino – La politique économique doit gérer les transitions.

 

L’idée qu’on peut passer d’une situation à une autre sans transition est une idée qui a condamné à l’échec bien des politiques même quand elles étêtaient pertinentes dans leurs objectifs. Quand on fait des rapports sur la nécessité de réformer la France, on cite souvent Turgot, sans doute un des hommes les plus intelligents de son siècle. Mais on oublie que lorsqu’il décide la libéralisation du commerce des grains sans tenir compte ni de la conjoncture agricole ni de l’inadaptation des infrastructures, il provoque la guerre des farines, prélude à la révolution. La crise des gilets jaunes a procédé de la même croyance dangereuse selon laquelle tout pouvait s’ajuster instantanément.

 

Un mot sur le phénomène bureaucratique des dernières décennies. C’est le paradoxe de l’ultra-libéralisme. Quand vous voulez dépolitiser toute l’économie et la société et les mettre en pilotage automatique, supprimer la décision discrétionnaire du politique, il faut tout prévoir. Il faut tout codifier, tout réglementer. Il faut des juges, des autorités indépendantes, des contrôleurs et des monceaux de textes, de règles de plus en plus détaillées et à la clé des contentieux à n’en plus finir et une fuite devant les responsabilités judiciaires, souvent pénales.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Je ne suis pas sûr de vous suivre, selon vous la bureaucratie est le produit de l’ultra-libéralisme?

 

Henri Guaino – L’ultralibéralisme, oui, c’est paradoxalement l’une des causes majeures de la dérive bureaucratique: en évinçant le politique et la responsabilité politique, on récolte le bureaucrate. C’est l’idéologie de la dépolitisation dont l’Europe est championne du monde et de la judiciarisation qui est en cause.

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Je pense que c’est surtout la démission du politique qui crée la bureaucratie, pas le libéralisme. La bureaucratie, c’est essayer de prévoir tous les cas pour ne pas avoir à décider.

 

On infantilise les acteurs économiques, citoyens, consommateurs ou entrepreneurs et d’ailleurs aussi fonctionnaires, en ne laissant à aucun moment une part de libre arbitre et une part de décision politique parce que derrière il faut avoir le courage de l’assumer en disant j’ai choisi telle décision parce que je pense que c’est la bonne pour l’intérêt général.

 

La grande idée de de Gaulle est de trouver une troisième voie entre libéralisme et étatisme, notamment par la participation. Qu’est-ce qu’en pense le patron des patrons?

 

Geoffroy Roux de Bézieux – Je pense qu’il y avait deux idées qui sont assez différentes.

 

Il y a une idée strictement économique qui est d’associer les salariés aux fruits de l’entreprise. On peut juger qu’on ne va pas assez loin en France. Je rappelle quand même les choses: c’est en France que la richesse est la mieux partagée, parce qu’il y a intéressement, participation, et une forte proportion d’actionnaires salariés.

 

Faut-il généraliser? Philosophiquement, je n’y suis pas opposé. Le problème c’est que généraliser ça veut dire qu’il y a une variabilité plus forte des revenus. Et cela n’est pas toujours bien accepté puisqu’évidemment, quand il y a quelque chose à partager, tout le monde est content, mais c’est plus difficile lorsque la tendance s’inverse. Une action, ça monte, ça baisse et donc cela devient délicat quand elle constitue une partie significative du patrimoine d’un salarié. Je suis favorable à tout ce qui peut encourager le partage des profits. Mais il ne faut pas une règle trop rigide. Serge Dassault disait «un tiers réinvestit dans l’entreprise, un tiers pour les salariés, un tiers pour les actionnaires», mais ça ne peut pas fonctionner comme ça parce qu’il y a des investissements qui nécessitent beaucoup plus qu’un tiers.

 

Cela ne doit pas être une composante trop significative du revenu d’un salarié parce que c’est d’abord sa force de Travail qui est rémunéré et la deuxième chose, c’est qu’il faut que cela s’accompagne d’une baisse des coûts qui pèsent sur l’entreprise, parce qu’on ne peut pas brusquement généraliser cette méthode à toutes les petites entreprises sans compensation.

 

Pour de Gaulle, le mot participation avait un une deuxième signification: c’était l’idée qu’il devait y avoir une sorte de cogestion. Et c’est là ou je ne suis pas gaulliste, parce que mettre travail et capital, qui est d’ailleurs une idée aujourd’hui développée par la CFDT, sur un plan d’égalité, c’est refuser de considérer le capital comme un risque et qu’il doit, pour cela être rémunéré. Et surtout, c’est lui qui doit prendre la décision finale. Il n’y a pas un pays à économie de marché au monde qui fonctionne sans que le capital ait la décision finale. On peut discuter, partager la stratégie, mais in fine, c’est celui qui met son capital en jeu qui prend la décision. La cogestion à l’allemande dont on nous rebat les oreilles, moi je l’ai expérimenté. Il faut dire ce qui est, c’est une fausse cogestion, parce qu’en réalité c’est souvent un théâtre d’ombres. Au final c’est l’actionnaire qui décide. Je suis donc gaulliste pour le partage du profit. Je ne suis pas gaulliste sur le partage du pouvoir.

 

Henri Guaino – Je suis assez d’accord avec cette position. L’intéressement me paraît être une très bonne voie avec les difficultés que vous indiquez. Lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, nous avons d’ailleurs rencontré ces difficultés que le «un tiers, un tiers, un tiers» comme le préconisait Serge Dassault, était une idée intéressante.

 

La co-gestion, ce n’est pas la même chose, c’est beaucoup plus compliqué. Et c’est pour cela que ça n’a jamais abouti. Je suis plutôt du côté de Pompidou sur ce sujet: même si c’est un très bel idéal c’est tellement difficile à généraliser que même De Gaulle n’a pas poussé très loin dans ce sens. Il faut dire que les Trente glorieuses se sont construites sur une canalisation et une humanisation des forces du capitalisme pour en conserver le meilleur. Le new deal, le plan Beveridge, le programme du CNR, la sécurité sociale, l’assurance chômage, les retraites, la maîtrise des mouvements de capitaux, la réglementation de la finance, la préférence communautaire, c’était déjà l’exploration d’une troisième voie. Mais si on met de côté la cogestion, en revanche on ne pourra pas s’exonérer très longtemps de canaliser à nouveau les dérives actuelles du capital et de la financiarisation de l’économie. Mais c’est un autre sujet.

Henri Guaino: «Toute projection des régionales sur la présidentielle est un château de sable»

GRAND ENTRETIEN – Pour l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, il serait hasardeux de tirer des leçons catégoriques des scrutins des 20 et 27 juin pour l’élection présidentielle.

Entretien tiré du Figaro du 28/06/2021

Par 

LE FIGARO. – Les régionales auront été marquées par une abstention massive inédite. Comment l’expliquer?

 

Henri GUAINO. – Il est fascinant de voir comment une situation de ce genre est analysée et commentée les soirs d’élection où chacun est sommé de trouver une explication, politicienne pour les politiciens, systémique pour les analystes, définitive pour les journalistes. Au soir du deuxième tour, comme du premier, on a bâti sur les plateaux beaucoup de théories sur le sable de la vieille politique du temps où tous les partis n’étaient pas en crise et où l’idéologie tenait encore une place importante dans les comportements électoraux. Or aujourd’hui, sur les décombres des partis et des idéologies, la sociologie, ou plutôt la psychosociologie a pris une place beaucoup plus importante.

 

C’est d’abord ce glissement vers la psychologie et la sociologie qu’exprime cette exceptionnelle poussée d’abstention qui, dans le cas présent, n’est pas répartie à peu près uniformément dans le corps électoral mais touche principalement des catégories particulières: jeunes, actifs, classes populaires. Il n’y a dès lors pas lieu de chercher des explications compliquées. La meilleure est que, si la plupart des Français ne sont pas allés voter, ce n’est pas dû à l’effondrement du civisme ou au rejet de tel parti en particulier, mais c’est, tout simplement, que ce scrutin ne les intéressait pas: dans la crise qui les met à rude épreuve, ils n’en voyaient pas les enjeux pour eux-mêmes. Et, au fond, comment leur donner tort?

 

Est-ce l’échec de ceux qui réclament plus de décentralisation?

 

L’abstention mesure en tout cas le gouffre abyssal qui sépare ceux qui, au sommet de la société, crient en sautant sur leur chaise «Décentralisation! Décentralisation!» à chaque fois qu’on leur soumet un problème à résoudre, et les attentes de la multitude pour laquelle cette pensée magique n’a pas le moindre effet sur leur vie quotidienne ni sur l’avenir de leurs enfants. Logiquement, aux yeux de la plupart des Français, les enjeux des scrutins départementaux et régionaux sont purement gestionnaires. Les préoccupations de ceux qui n’ont pas voté sont ailleurs. Savoir qui entretient le collège et le lycée compte moins pour eux que ce que l’on y enseigne à leurs enfants et quelles chances cela leur donne dans la vie.

 

Qui au demeurant s’y retrouve dans le maquis des compétences, de l’État, des communes, départements et régions, compliqué encore par celles des métropoles, communautés urbaines et grandes intercommunalités, toutes ces structures pour lesquelles on ne vote pas? Cette abstention, c’est aussi l’échec des grandes régions, cette très mauvaise idée que l’on doit à François Hollande et qui a encore éloigné les citoyens des élus. Mais comme toujours, les grands prêtres de la pensée formatée diront, comme ils le disent pour l’Europe à chaque fois qu’elle est désavouée, que c’est parce que la décentralisation n’est pas allée assez loin…

 

N’est-ce pas le double désaveu d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen? Et le début de la fin de ce clivage?

 

Si les gens ne sont pas allés voter parce que cela ne les intéressait pas, on ne peut pas en tirer de leçons de ce genre. Le RN a connu un revers électoral parce que la sociologie de son électorat était la moins sensible à l’enjeu de ce scrutin. Il est d’abord victime d’une sorte de bon sens populaire, qui n’a pas toujours raison, mais qui jauge les enjeux politiques à l’aune de sa propre vie depuis que la motivation idéologique s’est estompée.

 

Je ne sais pas si c’est la fin de ce clivage qui, pour être réel, n’en est pas moins réducteur, mais ce qui est certain, c’est que l’idée selon laquelle le fait que la colère populaire ne se soit pas exprimée dans les urnes à cette occasion signifierait qu’on l’avait surestimée, et qu’au fond, elle n’existe pas, procède d’un dangereux aveuglement. Si l’on tourne le dos à cette colère parce que, finalement, elle n’empêche pas de gagner des élections où votent un tiers des électeurs, elle finira par nous sauter violemment à la figure, dans les urnes ou autrement.

 

Le RN échoue partout. Cela signifie-t-il que sa stratégie de normalisation ne fonctionne pas et que le plafond de verre est impossible à briser pour le RN?

 

Je ne sais pas si cette stratégie est bonne ou mauvaise. Elle ne s’appliquait en tout cas pas à ce type d’élection. J’ai tendance à penser que le noyau dur de l’électorat de Mme Le Pen, qui cette fois-ci n’a pas voté, n’est pas très sensible à ce genre de débats. Encore une fois, c’est un vote avant tout sociologique. La stratégie que vous évoquez s’adresse surtout à l’électorat qui est au-delà de ce noyau dur, dans la perspective de la présidentielle, pour briser le fameux plafond de verre.

 

Marine Le Pen est-elle assurée d’accéder au second tour de la présidentielle?

 

Toute projection sur la présidentielle est un château de sable qui se dispersera au premier coup de vent. Cela ne veut pas dire que, psychologiquement, le coup n’est pas rude pour Mme Le Pen. Et encore moins que le duel avec Emmanuel Macron au second tour est assuré, parce que la présidentielle ne se passe jamais comme on l’annonce un an avant. Cependant, la présidentielle, ce n’est pas une confrontation de partis mais de personnalités, cela change tout. Et les enjeux de la présidentielle sont beaucoup plus compréhensibles.

 

Croyez-vous au retour de la droite?

 

Ni de la droite, ni de la gauche, ni du centre. Le système des partis est en ruine car les partis n’ont plus de ciment idéologique. Sans enracinement dans des familles politiques qui sont des courants d’idées profonds, ils ne structureront pas la vie politique qui en a pourtant besoin. La droite a besoin d’un courant gaullo-bonapartiste pour se ressouder autour de lui. Elle ne se ressoudera pas autour d’un courant néo-libéral orléaniste.

 

Le pire serait, pour la droite comme pour la gauche, de bâtir des stratégies politiques sur les illusions du trompe-l’œil des régionales, où seuls militants et sympathisants des partis, ceux dont le vote est affilié à ces partis, sont allés voter. Le fait que tous les sortants soient reconduits, avec une très faible part des inscrits, renforce la thèse de ce petit vote uniquement partisan et aussi celle d’une perception purement gestionnaire de ces mandats: les présidents sortants n’ayant pas démérité sur ce terrain, va pour les sortants!

 

L’élection présidentielle reste-t-elle la mère de toutes les batailles électorales?

 

Oui, bien sûr et à cause du quinquennat, de l’inversion du calendrier, c’est la seule. Au-delà du débat qu’il faudra bien avoir sur les méfaits du quinquennat, la présidentielle exprime le besoin d’incarnation de la politique dans une société où pullulent les pouvoir anonymes sur lesquels les citoyens ont l’impression de n’avoir plus aucune prise. N’abîmons pas ce legs gaullien en affaiblissant la fonction présidentielle ou en bricolant le système électoral: ces régionales, c’est aussi l’échec d’un scrutin à la proportionnelle incompréhensible et qui donne la primauté aux apparatchiks.

Henri Guaino: «L’autorité de l’État est en ruine, elle n’endigue plus la montée de la violence»

GRAND ENTRETIEN – L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République s’inquiète de la profonde crise morale qui, selon lui, ébranle toutes les institutions de l’État.

Entretien tiré du Figaro du 16/05/2021

Par 

LE FIGARO. – Que vous inspirent les deux tribunes publiées sur le site de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, tour à tour signées en majorité par des généraux à la retraite puis de manière anonyme par des militaires d’active?

Henri GUAINO. – D’abord que l’hystérie et le déni de la réalité sont des poisons mortels pour notre démocratie. La première tribune ne faisait que pointer ce que vivent tous les jours des millions de Français: le délitement de la société, la montée du communautarisme, de la violence, de la haine et qu’à continuer de glisser sur cette pente, il y aurait un risque que tout cela se termine un jour en guerre civile. Parce qu’elle était signée par des vieux généraux, elle a provoqué les cris d’orfraie de ceux qui pour exister ont besoin de voir partout l’ombre de l’extrême droite, du fascisme et du putsch. Mais refuser de regarder en face cette haine et cette violence qui montent inexorablement depuis des années et qui débordent est autrement plus dangereux pour la paix civile et les libertés que la menace d’un putsch imaginaire dont le texte, que l’on a par ailleurs le droit de ne pas aimer, ne faisait aucune mention, même en creux.

 

Mais en parlant de guerre civile, les signataires n’agissent-ils pas comme des pompiers pyromanes?

Cessons de croire que ce qui est arrivé aux générations passées ne peut plus nous arriver. Comment conjurer un risque que l’on n’est même pas capable de nommer? L’histoire ne nous a-t-elle pas appris que, lorsque la violence dépassait un certain seuil, elle se répandait comme une épidémie qui pouvait contaminer toute la société, que lorsque la sauvagerie se libérait de tout ce qui dans la civilisation la refoule, de tout ce qui dans les institutions la canalise, elle dévorait tout sur son passage? Mais il est vrai que, désormais, on préfère faire le procès de l’histoire plutôt que d’en tirer des leçons.

 

La réponse du gouvernement vous semble-t-elle adaptée?

Non. Elle sous-estime l’importance de ce qui se joue entre le président et l’armée dont il est le chef dans un contexte où toutes les autorités vacillent. L’armée est la collectivité humaine où le mot chef a le sens le plus lourd puisque celui-ci peut être amené à demander aux militaires de faire le sacrifice de leur vie. Une armée, c’est un miracle d’engagement, d’abnégation, de discipline, de courage, de fraternité, un corps social cimenté par une histoire, des traditions, un code d’honneur, le souvenir de faits d’armes sans cesse remémorés. Comme tout miracle, celui-ci est précieux et fragile. Le protéger pour qu’il perdure, c’est le rôle du chef.

On touche là au cœur de la crise de l’autorité. Depuis dix ans, les enquêtes d’opinion indiquent avec une grande régularité que plus de 80 % des Français réclament l’autorité d’un chef, preuve qu’elle leur manque, même si chacun a son idée bien à lui du genre de chef qu’il attend. Mais pour devenir un chef, encore faut-il avoir réfléchi à ce que cela veut dire.

 

Qu’entendez-vous par là?

Qu’il ne suffit pas de proclamer qu’on est chef pour l’être. Que pour être chef, il ne suffit pas d’être nommé, ni même élu, qu’il faut en plus être reconnu, ressenti comme tel, comme le furent Clemenceau, Churchill ou de Gaulle. Qu’est-ce qui a fait des Alexandre, des Napoléon que leurs soldats étaient prêts à suivre jusqu’au bout du monde? Qu’est-ce qui a fait des Lyautey, des Leclerc, des Bigeard, si différents les uns des autres mais suscitant la même ferveur, sinon qu’ils avaient du sang froid et de la fermeté, mais aussi qu’ils savaient donner à ceux qu’ils commandaient le sentiment qu’ils les respectaient et qu’ils les aimaient? Je pense aux mots de Tom Morel, lieutenant de chasseurs alpins, saint-cyrien, qui fut le chef du maquis des Glières: «Pour être chef, il faut avoir du prestige ; et ce prestige il faut l’acquérir par la générosité, de l’entraide mutuelle, du dévouement.» Le ressort de l’obéissance militaire, c’est le sens de l’honneur, le sens du devoir et ce supplément d’âme par lequel le chef se met à la place de ceux qu’il commande pour évaluer les limites de ce qu’il peut exiger d’eux. Qu’il dépasse ces limites et le miracle de la discipline militaire cesse: même l’armée d’Alexandre refusa d’aller plus loin que les rives de l’Hyphase (fleuve de la vallée de l’Indus, situé dans l’actuel Pendjab, NDLR) et, en 1917, les mutineries menacèrent l’armée française d’effondrement parce que les chefs militaires avaient donné le sentiment que la vie des soldats n’avait aucune valeur à leurs yeux.

 

Les militaires sont tout de même soumis à un devoir de réserve. Ne fallait-il pas les rappeler à l’ordre?

Si, mais exclure les généraux signataires de la grande famille de l’armée, ce n’est pas un simple rappel à l’ordre, c’est une sanction très lourde qui a, pour un soldat qui a consacré sa vie à servir, une résonance affective très profonde, c’est une négation de son existence, de son engagement. Cette dimension a été sous-estimée. Mais ce qui a été encore plus gravement sous-estimé, c’est la place qu’occupe dans une armée le rapport aux anciens.

En les accablant de mépris – «généraux en charentaises», a dit un ministre -, en les mettant au ban de l’institution, on a pris le risque de créer des fêlures au sein de l’armée. Et en faisant tenir au chef d’état-major des armées le discours qu’on lui a fait tenir, on n’a fait qu’accroître ce risque. La deuxième tribune est une traduction de ces fractures, à mon sens inutilement ouvertes et qui affaiblissent l’institution militaire.

Quant au devoir de réserve, il s’impose bien sûr aux militaires mais s’il leur interdit d’engager l’institution et d’exprimer des appartenances partisanes, si l’armée n’a pas à intervenir dans le débat politique, chaque soldat est aussi un citoyen qui ne peut pas être indifférent à l’état du pays pour lequel on lui demande d’être prêt à mourir. Délicat mais nécessaire équilibre à trouver. C’est la jurisprudence qui le précise au cas par cas en appréciant la proportionnalité de la sanction à la faute. Je ne suis pas sûr que, dans le cas présent, les sanctions annoncées soient proportionnelles à la faute supposée commise. Le pouvoir exécutif remet donc son autorité entre les mains des juges au risque qu’elle en sorte encore plus affaiblie s’il est désavoué.

 

Que disent ces tribunes du malaise de l’armée et de son rapport au chef de l’État?

Qu’effectivement, il y a un malaise et que pour soigner ce malaise, la manière compte beaucoup. Que, de l’éviction du général de Villiers à la radiation des «généraux en charentaises», la manière n’y est pas. Que l’armée n’est pas à l’abri de la crise morale qui ébranle aujourd’hui toutes les institutions.

 

Le chef de l’État n’a-t-il pas eu raison de rappeler son autorité légitime?

Je ne crois pas qu’elle était ébranlée par la première tribune. Mais ce qui est absolument certain, c’est que l’autoritarisme, loin de renforcer l’autorité, l’affaiblit.

 

Au-delà de l’armée, les rapports entre le gouvernement et la police sont également dégradés. Cela est-il inquiétant?

C’est le même problème de commandement qui est posé avec un processus de dégradation qui a commencé il y a longtemps. On ne voulait pas le voir. On l’étouffait dans le devoir d’obéissance. Mais il atteint maintenant une telle intensité qu’on ne peut plus le dissimuler. Il faut cesser de croire que l’on peut tirer indéfiniment sur la corde et qu’elle ne cassera jamais. Il faut gouverner en se disant toujours que la corde peut casser. On ne peut plus se contenter, dans la police et la gendarmerie, de l’habituel «obéis et tais-toi». Entre l’insuffisance des moyens, les juges qui oublient que leur première raison d’être dans la société est de dissuader les victimes de se faire justice elles-mêmes, un flou trop grand dans les règles qui encadrent le droit à la légitime défense des policiers, des peines insuffisamment lourdes pour leurs agresseurs, et la violence qui monte de toute part, le malaise est profond.

Il faut y ajouter cette tentation délétère de laisser les mouvements sociaux s’user contre les forces de l’ordre. La police et la gendarmerie ne sont pas faites pour ça. On ne peut pas les utiliser de la même manière contre des ouvriers, des pêcheurs ou des paysans désespérés et contre des voyous, des trafiquants, des black blocs, des casseurs professionnels. Là encore, le problème du chef est posé. En 1968, Pompidou et le préfet Grimaud ont été des chefs. En 2005, face aux émeutes des banlieues, Sarkozy, ministre de l’Intérieur, a été un chef. L’art d’être un chef, l’art de gouverner: savoir se fixer des limites à ce que l’on peut exiger de ceux que l’on commande, à ce que l’on peut imposer à ceux que l’on gouverne.

Il faut prendre plus au sérieux qu’on ne le fait ce malaise de la police, de la gendarmerie, de l’armée, non parce que l’on prendrait le risque imaginaire du putsch ou de la rébellion, mais parce que l’on prendrait celui du désengagement de ceux qui restent en dernier ressort les ultimes garants de l’ordre contre le chaos. Nous le payerions collectivement très cher.

 

L’explosion de l’insécurité, les violences contre les policiers témoignent-elles d’une crise plus large de l’autorité de l’État?

Les violences contre les policiers, les gendarmes, les enseignants, les pompiers, les maires… L’autorité de l’État est en ruine, comme celle de tous les corps intermédiaires, les syndicats, les partis. Elle n’endigue plus la montée de la violence, notamment, la plus inquiétante de toutes, la violence physique. On dira que c’est l’évolution de la société. Mais ce n’est qu’en partie vrai. Les corps qui servent l’État, ceux qui le gouvernent, ceux qui font ses lois et ceux qui les appliquent ont été les artisans de leur impuissance grandissante. Ils ont désarmé l’État matériellement, juridiquement, ils l’ont démembré en autorités indépendantes et brisé le lien entre le national et le local, ils l’ont emprisonné dans une hiérarchie des normes qui prive d’effet nos lois. Il faut cesser de mentir aux Français, l’autorité de l’État ne sera pas rétablie si nos choix économiques et budgétaires ne sont pas remis en cause, si notre édifice juridique n’est pas revu de fond en comble, si nous ne reprenons pas la maîtrise de nos frontières.

Mais le problème est plus profond. Il touche à la dislocation de notre imaginaire collectif, de toute culture commune, de toute morale partagée. Une partie croissante de la jeunesse n’a jamais appris à aimer la France, à éprouver de la fierté à être français, quand elle n’est pas élevée dans la haine de la France, de son histoire, de sa civilisation et de sa civilité. En laissant faire, en abandonnant la culture générale, en cédant à toutes les minorités agissantes qui veulent déconstruire ce qui nous permet de vivre ensemble en éprouvant une communauté de destin, nous réduisons dramatiquement les chances de vivre en paix. C’est le socle de toute légitimité qui est atteint. Quelle autorité pour l’État, quand pour quantité de jeunes, la police n’est plus qu’une bande comme une autre?

 

Dans ce contexte, que pensez-vous de la suppression du corps préfectoral? Cette réforme n’est-elle pas susceptible de renforcer l’efficacité de l’État?

Représenter l’autorité de l’État exige, comme pour l’armée, un ancrage dans des traditions, une histoire, une expérience accumulée dans la durée et qui se transmet. C’est le propre d’un corps d’assurer cet ancrage et cette transmission. Cette destruction programmée des corps de la haute fonction publique qui ouvre la voie à la cooptation d’avant-1945 et à la discrimination positive va conduire à un affaissement supplémentaire de l’autorité de l’État. L’idéologie managériale, appliquée à tort et à travers, est en train de détruire le sens de l’État, qui est ce qui distingue le service de l’État de la gestion d’une entreprise.

 

Le consentement de la population au confinement et aux privations de liberté durant la crise sanitaire n’est-il pas malgré tout le signe d’une persistance de l’autorité de l’État?

Elle a surtout montré un État plus prompt à sanctionner les honnêtes citoyens que les voyous et exaspéré les Français par cette caricature de technocratie qui laissait entrevoir cette sorte de jouissance malsaine de pouvoir régenter sans limite toute la vie des gens jusque dans des détails ubuesques. L’obéissance n’a pas été le fruit d’une autorité ressentie comme légitime mais celui d’une politique de la peur qui est la pire de toutes les politiques. L’autorité de l’État, comme celle de la science qui a trop servi d’alibi, en sort profondément affaiblie.

 

Nous commémorions récemment le bicentenaire de la mort de Napoléon. En quoi peut-il servir d’exemple dans la situation actuelle?

Celui qui aurait aujourd’hui la prétention de se prendre pour Napoléon serait un fou. Mais il nous montre qu’au milieu du chaos, une volonté humaine incarnée peut les mobiliser toutes pour reconstruire une nation, une société, et les doter d’institutions qui fonctionnent encore deux cents ans plus tard. Napoléon, de Gaulle… comment continuer, sans imiter.

Henri Guaino: «Si cette image d’Erdogan et Von der Leyen était un tableau, le titre qui lui conviendrait serait “Soumission”»

FIGAROVOX/TRIBUNE – La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a essuyé un affront à Ankara. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée y voit un symbole de la faiblesse congénitale de l’Union européenne.

Entretien tiré du Figaro du 08/04/2021

Par 

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a essuyé un affront à Ankara. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée y voit un symbole de la faiblesse congénitale de l’Union européenne.

 

LE FIGARO. – Alors que les dirigeants européens étaient reçus par Erdogan, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a été contrainte de s’installer en retrait, sur un divan, quand le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président turc ont pris place plus loin, sur deux fauteuils proches et un peu plus en hauteur. Qu’est-ce que cela dit du rapport de force géopolitique entre l’Union européenne et la Turquie ?

Henri GUAINO. – L’image en dit plus long sur l’Union européenne que bien des discours. Et ce qu’elle dit est rien moins qu’anecdotique. Elle ressemble à l’un de ces tableaux dans lesquels les peintres de cour mettaient chaque personnage à une place bien précise pour souligner les hiérarchies sociales et les rapports de puissance. Si cette image était un tableau, le titre qui lui conviendrait le mieux serait «Soumission», car c’est exactement ce qu’il exprime. Avec la femme reléguée au loin sur le canapé sans que ni celle-ci ni le président du Conseil européen ne bronchent sous prétexte que la forme serait moins importante que le fond. Mais la forme révèle le fond. En acceptant cette forme, à travers ses deux plus hauts représentants, l’Union européenne signe l’acte de soumission de la civilisation européenne devant l’un des dirigeants les plus acharnés à sa destruction. Par là, l’Union européenne, en tant que construction institutionnelle qui devait empêcher le continent européen de sortir de l’histoire, révèle sa vraie nature: construite sur l’idéologie de la fin de l’histoire et de sa dimension tragique, elle affaiblit les peuples européens et la civilisation européenne face à tous ceux qui veulent les dominer ou les détruire.

Voilà ce que dit cette image à tous ceux qui ne l’avaient pas encore compris.

 

L’Union européenne sous-estime-t-elle la menace représentée par Erdogan ?

L’Union européenne, qu’il ne faut pas confondre avec les peuples européens et avec la civilisation européenne, est forte avec les faibles et faible avec les forts. Elle se couche devant les États-Unis, la Chine, Erdogan. Mais elle rejette la Russie au mépris de l’histoire et des intérêts géopolitiques de l’Europe. Elle est devenue, hélas, le réceptacle de ce qui demeure de l’esprit munichois en Europe. La diplomatie avant tout, c’est ce qu’a fait dire Mme von der Leyen. C’est ce que disaient les diplomates français et britanniques dans l’entre-deux-guerres face à Hitler.

 

À quoi cette faiblesse tient-elle selon vous ?

Quand un État est menacé dans ses intérêts vitaux par un dictateur qui ne connaît que le rapport de force, il ne faut rien céder à ce dernier, sinon on est condamné à céder toujours plus jusqu’à ce que le pire devienne inévitable. Mais l’Union européenne n’est pas un pays. D’ailleurs, l’image montre que pour Erdogan, ce sont les États seuls qui comptent. Car, au-delà de la question du statut de la femme, il y a la différence de nature entre la Commission européenne, organe bureaucratique, et le Conseil européen, organe de décision qui réunit les chefs d’État et de gouvernement et qui sur le plan géopolitique est la seule chose qui compte aux yeux des puissances du monde. Et, sur la Turquie, les États membre de l’Union sont divisés, au point qu’ils n’ont même pas cherché à défendre les frontières extérieures de l’Europe lorsque la Turquie a violé les eaux territoriales grecques, hormis la France. C’est toute l’ambiguïté de cette construction, qui se barde de règles, de procédures, de contraintes parce que les États qui la composent n’ont en réalité pas la volonté de défendre ensemble l’indépendance de l’Europe face aux puissances qui la menacent. La chimère fédéraliste est une fuite en avant devant cette évidence que les États européens ne partagent pas une même vision des intérêts vitaux qu’ils ont à défendre ensemble. Le résultat, c’est que l’on a à la fois les contraintes et la faiblesse: Erdogan décide pour lui-même. M. Charles Michel ne décide pour personne.

 

Peut-on parler de choc des civilisations ?

Ceux qui n’ont pas encore compris que l’Occident en général, l’Europe et chacun de ses États en particulier, était confronté, à l’extérieur et à l’intérieur, à une véritable guerre visant à la destruction de sa civilisation n’ont rien compris à la crise de civilisation que nous traversons et au risque qu’elle finisse dans la plus grande violence. La relation des autorités allemandes avec le régime d’Erdogan, qui ne cache rien de ses intentions, est exemplaire de cet aveuglement.

 

Ne serions-nous pas encore plus faibles sans l’Union européenne ?

L’Union européenne qui dissout toutes les volontés nationales pour les remplacer par un carcan technocratique et juridique n’est pas un multiplicateur de puissance, mais un accélérateur d’affaiblissement. Je ne comprends pas comment on peut encore désormais nier cette évidence.

 

La gestion européenne de la crise sanitaire témoigne-t-elle de cet affaiblissement ?

Elle fait partie de ces évidences qui devraient nous conduire à changer de logique et d’idéologie. On pourrait parler de la question des frontières intra-européenne pendant l’épidémie et de l’espèce de naïveté idéologique de la France arc-boutée sur la libre circulation quand l’Allemagne ne demande jamais l’avis de quiconque pour ouvrir les siennes à un million de réfugiés ou pour les fermer pour se protéger d’un virus, pas plus qu’elle ne consulte qui que ce soit quand elle suspend l’utilisation d’un vaccin. Mais le plus emblématique reste la négociation des vaccins, où l’idéologie comptable du moindre coût, chère à la technostructure de l’Union, l’a emporté sur toutes les autres considérations, avec les résultats que l’on connaît.

 

Êtes-vous certain que nous aurions fait mieux sans l’Europe? Le fait d’être à 27 n’est-il pas une force ?

Quand on additionne des gens qui veulent une chaise et des gens qui veulent le contraire, on ne devient pas plus fort mais plus faible. Et, quand il s’agit d’une question de vie ou de mort, ça tourne à la catastrophe. Cette expérience désastreuse devrait servir de leçon à tous ceux qui militent pour une Europe sanitaire ou pour une Europe de la défense intégrée.

 

Vous avez été au cœur de la crise économique de 2008 lorsque vous étiez conseiller de Nicolas Sarkozy. La politique économique de l’Europe est-elle à la hauteur de la crise sociale qui s’annonce? Quel regard portez-vous sur le plan de relance européen ?

Non, elle n’est pas à la hauteur, même si la BCE a fait son travail, bien qu’à mon sens elle aurait dû financer directement les Trésors publics plutôt que de racheter les dettes sur les marchés financiers. La Chine reprend sa progression. Les États-Unis devraient avoir consacré sur 2020 et 2021 quelque 8 000 milliards de dollars de soutien à l’économie et d’investissement. La disproportion avec l’Europe est considérable. Quant au plan de relance européen, il est quantitativement faible et c’est un peu une escroquerie. Il n’apporte rien sur le plan macroéconomique que la BCE n’aurait pu faire avec la politique monétaire, notamment pour que les pays les plus en difficulté puissent emprunter et avec des taux faibles. Et, contrairement à ce que l’on prétend dans les sphères gouvernementales, il n’apporte aucune ressource supplémentaire aux États puisqu’ils devront rembourser la dette européenne à travers une hausse de leur contribution au budget communautaire. Ainsi, la France recevra 40 milliards et devra en rembourser pas moins de 60.

Les seules conséquences sont politiques. La première est l’accroissement des pouvoirs de la bureaucratie communautaire à travers les conditionnalités qui encadrent les financements. La deuxième, c’est l’amorçage du processus qui conduit au fédéralisme budgétaire au mépris des traités et dans le dos des peuples, ce qui se paiera, un jour ou l’autre, par une aggravation de la crise des démocraties européenne déjà inquiétante.

Henri Guaino face à Eric Zemmour

Henri Guaino sur LCI - 14 novembre 2020

Covid-19 : le couac de Santé Publique France sème le trouble sur les chiffres de l'épidémie

Les chiffres de la mortalité de l’épidémie en France ont subitement bondi ce vendredi. Ils étaient en réalité faussés par le bilan non comptabilisé d’un hôpital francilien depuis plusieurs semaines.

Deuxième vague oblige, nombreuses sont les villes françaises à redoubler de mesures pour contrer la propagation du virus. En revanche, du côté du ministère de la Santé, les efforts de communication sur les chiffres quotidiens de l’épidémie sont au point mort. Vendredi, le nombre de décès et d’hospitalisations en 24 heures affiché par Santé Publique France était faussé, les données d’un établissement hospitalier de l’Essonne ayant été rajoutées rétroactivement.

 

Rembobinons. Pendant plusieurs mois, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a eu pour habitude d’intervenir lors d’une conférence de presse, chaque soir, aux alentours de 19 heures. Il donnait le nombre de décès, de cas, de personnes en réanimation, ce qu’on apprenait de nouveau sur le virus, tout en rappelant les gestes barrières. Après le déconfinement, les interventions de Jérôme Salomon se sont raréfiées, jusqu’à disparaître en lieu et place d’un communiqué transmis par courriel aux journalistes.

 

Or, depuis le 10 septembre 2020, plus aucun texte n’est envoyé aux rédactions. Pour transmettre l’information sur le nombre de cas, il est nécessaire d’accéder à cette page, sur le site de Santé Publique France, où une image est publiée avec les «chiffres clés» actualisés quotidiennement. Non seulement, le site souffre régulièrement de bugs d’affichage qui empêchent d’accéder aux données, mais celles-ci sont non exhaustives et ne sont accompagnées d’aucune explication. Seuls des communiqués hebdomadaires perdurent encore.

 

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Henri Guaino : « Nationalisations partielles ou totales, il ne faut rien s'interdire »

ENTRETIEN – Dettes, pouvoir d’achat, nationalisation… Henri Guaino évoque les pistes pour affronter la crise économique.

Propos recueillis par 

Avant même que le rendez-vous pour l’entretien ne soit pris, le ton était donné. Dans un petit commerce parisien, à un homme lui demandant s’il a des informations sur la suite des événements ou sur les futures décisions prises par l’exécutif, Henri Guaino lâche : « Je n’ai pas d’informations, je n’ai que des colères. » La colère passée – « elle ne sert à rien » –, l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy s’est longuement confié au Point pour évoquer les conséquences du Covid-19 et surtout parler de la crise économique et sociale qui vient.

 

« Je ne vois pas qu’au-delà des plans qu’on tire sur la comète pour le futur on a pris la mesure de l’urgence à laquelle nous sommes confrontés », nous explique en préambule l’ex-commissaire au Plan. Plan de relance européen, nationalisation, crise de l’euro, dettes…, Henri Guaino est l’invité de notre grand entretien.

 

Le Point : La crise sanitaire, si elle n’est pas terminée, semble maîtrisée, et c’est la crise économique qui pointe son nez. Sera-t-elle pire que celle de 2008 ?

 

En 2008, le monde a échappé, au bord du gouffre, à la catastrophe qu’aurait entraînée l’effondrement du système bancaire et financier mondial. La crise financière a fait d’énormes dégâts, mais le pire a été évité de justesse. Aujourd’hui, les conséquences de l’épidémie et du confinement de la moitié de la population mondiale (…)

 

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Henri Guaino: « Comme en 2008, la peur et la panique sont aussi un risque épidémique »

GRAND ENTRETIEN – L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy dresse un parallèle entre la crise de 2008 et la crise sanitaire que nous affrontons.

Il a joué un rôle important, en tant que conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, dans le sauvetage des économies européennes lors de la crise de 2008. Henri Guaino dresse le parallèle entre cette dernière et la crise sanitaire que nous affrontons. S’il prévient que «l’effondrement de l’économie ajouterait la catastrophe à la catastrophe», le défi à relever est, selon lui, avant tout politique et humain. Presque métaphysique. Car les catastrophes révèlent le meilleur, mais aussi le pire de la nature humaine. Comme si La Peste de Camus avait «quitté l’imaginaire romanesque pour s’installer dans notre vie quotidienne», souligne Henri Guaino.

 

LE FIGARO. – Que révèle pour vous la crise du coronavirus de nos sociétés

 

Henri GUAINO. – Leur terrifiante fragilité. Après les «gilets jaunes», les migrants, les subprimes, le terrorisme, cette crise sanitaire nous montre avec quelle rapidité nos sociétés peuvent se dérégler à un point que nous n’imaginions pas possible. Cette épidémie sonne comme un rappel à l’ordre à une société qui avait fini par se convaincre qu’elle échapperait à jamais aux malheurs qu’avaient dû affronter les générations d’avant et qui avait par conséquent renoncé à en tirer des leçons pour elle-même et à s’y préparer. On raille les pacifistes qui, après la Grande Guerre, avaient mis la guerre hors la loi. Mais, au fond, qu’avons-nous fait d’autre?

 

Henri Guaino sur LCI - 22 janvier 2020

Henri Guaino invité d'Apolline de Malherbe sur BFMTV

Martial Sciolla : «LR est un conglomérat de personnes sans pensée politique profonde»

Martial Sciolla : «Macron refuse ou est incapable de comprendre les aspirations des français»

Henri Guaino : «Les Gilets jaunes sont l'expression d'une société qui souffre depuis 40 ans»

Gilets jaunes : «Macron ne répond pas aux demandes de justice sociale et fiscale»

Henri Guaino : "L'Occident est menacé par l'excès d'universalisme"

Martial Sciolla : «La politique de Macron est de provoquer des clivages, des oppositions»

Henri Guaino sur France Inter : «Je ne pense pas que le Grand Débat redonne du pouvoir aux citoyens»

La France n’a qu’un seul drapeau, par Henri Guaino

Réagissant à la décision de l’Assemblée nationale d’associer drapeaux français et européen dans les classes, Henri Guaino l’affirme: une nation n’a qu’une bannière et personne n’ira mourir pour une organisation comme l’Union européenne.

 

L’Assemblée nationale a approuvé un amendement qui rendrait obligatoire la présence du drapeau français dans les salles de classe. Curieuse idée à laquelle personne n’avait jamais songé depuis la création de l’école de la République. Il n’est pas sûr que cela suffise à réveiller le patriotisme, mais après tout le drapeau américain est bien présent dans les salles de classes aux États-Unis. 

 

Ce n’est pas la présence du drapeau français qui pose problème mais la volonté d’associer le drapeau européen au drapeau tricolore comme s’il y avait équivalence entre les deux. C’est devenu une manie du politiquement correct : partout on met la bannière de l’Union européenne à côté du drapeau français comme s’il fallait s’excuser de montrer ce dernier en attendant de le faire disparaître. Ceux qui tiennent à cette association rétorqueront qu’elle est naturelle puisque la France est un pays membre de l’Union européenne.

 

Dans un vrai drapeau, il y a l’âme d’un peuple, dans l’enseigne d’une organisation il n’y a que de la communication

 

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Antisémitisme : Henri Guaino réagit sur LCI

Plaidoyer pour la Ve République, par Henri Guaino

Face à ceux qui veulent, pour faire face à la crise que travers la France, une transformation des institutions, Henri Guaino rappelle la valeur de la Constitution de la Ve République et le danger du court-termisme.

 

On aurait pu penser que la révolte du pouvoir d’achat déboucherait sur le procès de la mondialisation, de l’Europe, de la finance, de l’austérité, de la concurrence à tout crin, ou des dumpings sociaux et environnementaux, bref de tout ce, qui, de près ou de loin, contribue à fabriquer de la pauvreté, de l’exclusion, du chômage, des inégalités sociales et territoriales. Au lieu de quoi c’est le procès de la Ve République qui est instruit. C’est désormais à qui criera le plus fort haro sur la «monarchie républicaine».

 

Que tous les politiciens, les féodaux, petits ou grands, les notables, tous ceux que le général De Gaulle appelait les «notoires», qui ont toujours viscéralement détesté un Etat qui les gouverne, reviennent en rangs serrés en profitant des circonstances pour tenter une fois de plus d’abattre les institution de 1958 couronnées en 1962 par l’élection du président de la République au suffrage universel…. (lire la suite)

L'impasse révolutionnaire, par Henri Guaino

Face à la persistance de la révolte des Gilets jaunes, Henri Guaino pointe les limites de la «violence révolutionnaire». Selon lui, en raison de la complexité de la crise, il n’y a pas de solution politique immédiate. Mais alors, quelle issue ?

 

Le président de la République écrit aux Français qu’il veut transformer avec eux les colères en solutions. Intention louable mais qui néglige un fait majeur : la révolution est à la mode. Depuis que les Gilets jaunes sont sur les ronds-points et dans la rue, tout le monde sur les plateaux de télévision devient de plus en plus révolutionnaire. Il faut tout casser, plus rien ne vaut rien à commencer par les institutions : «Du passé faisons table rase !» Mais à chacun sa révolution et ses lendemains qui chantent : révolution prolétarienne, nationale, conservatrice, libérale, démocratique…

 

Les uns espèrent que l’insurrection balaiera le néocapitalisme mondialisé, les autres qu’elle en finira avec ce qui reste de l’Etat-providence, les uns que la France va enfin s’adapter à la mondialisation, les autres qu’elle va enfin enfin lui tourner le dos, les uns que les corps intermédiaires vont être mis à bas, les autres qu’ils vont reprendre le pouvoir… Mais dans les têtes de tous ceux qui sont en colère, qui en ont ras-le-bol, qui ont le sentiment, non sans raison, qu’ils ne maîtrisent pas leur vie, qu’elle est broyée par quelque chose qui les dépasse, que faire des efforts ne sert à rien, que voter ne change rien, ne pas voter non plus, il y a deux obsessions : punir ceux qu’ils jugent responsables de leur situation et le changement immédiat de celle-ci.

 

Cette urgence sociale et psychologique, tout à coup libérée, qui appelle tant de gens à vouloir reprendre leur destin en mains, se heurte à l’incompréhension du pouvoir

 

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Gilets jaunes : le risque du grand défoulement, par Henri Guaino

Face aux revendications des Gilets jaunes et à la réponse du gouvernement, Henri Guaino analyse les risques que posent le référendum d’initiative citoyenne et le grand débat national voulu par Emmanuel Macron.

Pour calmer la première révolte du pouvoir d’achat de l’après-guerre on a redonné un peu d’argent aux smicards et aux retraités. Aux Gilets jaunes on a dit que c’était beaucoup, à la Commission européenne, et à nos partenaires qui s’inquiétaient des déficits on a dit que c’était moins qu’il paraissait et que l’on se rattraperait sur d’autres dépenses. On verra bien quand chacun fera ses comptes. 

En attendant, au milieu du torrent de démagogie que les chaînes de télévision laissent s’écouler sur leur plateau avec délectation, on organise un grand débat national en forme de thérapie collective. Mais l’on ne soigne pas les sociétés démocratiques malades en organisant des groupes de parole comme on le fait pour soigner l’addiction à l’alcool. En guise de débat on risque plutôt d’avoir le grand déballage de toutes les rancœurs les haines et les jalousies que 40 ans d’insécurités économique, sociale et culturelle ont nourri chez tous ceux qui en souffrent. Et ce défoulement qui s’annonce ne va pas guérir toute cette violence accumulée, il risque, au contraire, de l’exacerber. Chacun, aux prises avec ses propres difficultés, ne sera-t-il pas tenté de voir dans l’autre un privilégié et criant «à bas les privilèges!», les vrais et les faux, de nourrir ainsi la guerre qui couve de tous contre tous : citoyens contre élus, salariés du privé contre fonctionnaires, travailleurs contre chômeurs, actifs contre retraités,  non- diplômés contre diplômés, campagnes contre villes, jeunes contre vieux…

 

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Macron face aux Gilets jaunes : un dangereux aveuglement, par Henri Guaino

Après les annonces d’Emmanuel Macron face au mouvement des Gilets jaunes, Henri Guaino dresse le bilan du management de la crise par le gouvernement et met en garde contre son incapacité à transgresser les dogmes de la «mondialisation heureuse».

Bientôt quatre semaines de ce qui restera, quelle qu’en soit l’issue, comme «la crise des Gilets jaunes». Cette issue, nul ne peut encore la prévoir. Mais ces quatre semaines de protestations et de désordres nous en disent beaucoup sur l’état de notre société et sur son avenir.

Les images de violences, de pillages, ont fait apparaître les limites du maintien de l’ordre public par la police la gendarmerie. Plus profondément, s’est imposée l’évidence que les forces de l’ordre n’avaient ni la vocation ni les moyens d’assurer la cohésion de la nation et qu’il ne fallait pas confondre l’ordre social et l’ordre public, le second pouvant devenir mission impossible lorsque le premier est trop compromis.

 

« Ce n’est pas encore une révolution, mais c’est déjà un soulèvement qui balaie l’autorité »

 

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Martial Sciolla débat sur la violence à l'école

60 ans après, que reste-t-il de la Ve République ?

Martial Sciolla s'exprime sur la communication d'Emmanuel Macron

Henri Guaino : "La démocratie est en train de se dérober sous nos pieds"

Le 28 septembre 1958, les Français se prononçaient sur la nouvelle Constitution fondatrice de la Ve République. Un régime à “l’esprit” bien particulier, mais affaibli par de nombreuses réformes, françaises ou européennes.

 

Atlantico :  Voici 60 ans, le 28 septembre 1958, les Français approuvaient à 79,2% le texte de loi constitutionnelle qui lui avait été présenté par le général de Gaulle. Que reste-t-il encore de ce qui est si souvent appelé “l’esprit de la Ve” ? 

 

Henri Guaino : Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on appelle “l’esprit de la Ve”.

Cet esprit est le fruit du diagnostic qu’a posé le général de Gaulle sur la succession des heurts et malheurs qu’a subi la France depuis le début de la IIIe République. En particulier le traumatisme de la défaite de 40 et l’effondrement de 58, qui menait le pays au bord de la guerre civile, et plus généralement le désordre constant des institutions depuis l’avènement de la IIIe République.

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Le 5 août 1972 Pierre Mesmer était nommé premier ministre de Georges Pompidou.

Retour sur l’hommage à un grand monsieur qui après avoir exercé toutes les responsabilités et risqué sa vie pour la France a eu la grandeur de refuser d’être candidat à la présidence de la République où le poussaient tant de gens parce que dira-t-il, “je me suis posé la question : serais-je capable d’être Président de la Republique? La réponse n’était pas évidente”.

Il répondra non. Comparons avec aujourd’hui.

Cherchons les hommes de cette trempe.

 

Henri Guaino
Discours prononcé lors de l’hommage à Pierre Messmer

Sarrebourg – 3 septembre 2016

 

S’adressant à Pierre Messmer avant de faire son éloge, Maurice Druon lui dit un jour : « Je connais votre horreur des compliments et des louanges. Vous avez dit un jour, avec un humour gaullien : je n’aime pas les coups d’encensoir. Cela fait mal à la tête ». Mais vous ne pouvez empêcher qu’on reconnaisse et célèbre en vous le très grand Français que vous êtes. Le pays a besoin d’exemples, et les hommes qui en fournissent sont rares. Vous êtes l’un deux. Alors, acceptez donc de subir ce rappel de ce que vous fîtes et de noble et de grand ».

Aujourd’hui la ville de Sarrebourg, dont il fut pendant 18 ans le Maire, lui rend hommage avec cette statue qui rappellera à jamais son souvenir et à travers lui le souvenir des héros et des grands serviteurs de l’Etat de sa génération à laquelle la France doit tant.

Sur le socle, j’écrirais volontiers sous le nom de Pierre Messmer, à l’adresse de la jeunesse « En hommage à ces hommes si rares qui à chaque époque se sont levés avec courage dans les profondeurs du peuple français pour en incarner l’honneur et en défendre la liberté, ces hommes que dans l’épreuve nous attendons de nouveau avec impatience et qui tardent tant à se lever comme si le gisement en était épuisé, comme si l’énergie nationale s’était affaiblie au point de n’en plus produire aucun de cette trempe. »

La figure de Pierre Messmer, comme celles de ses compagnons, grandit avec la médiocrité des temps, la bassesse des attitudes, la petitesse des sentiments. Si tout ce qui n’a pas de prix n’a plus de valeur, comment comprendre ces femmes et ces hommes qui disaient : « nous n’avons fait que notre devoir ».

Petit-fils d’un Alsacien qui en 1871 avait quitté sa terre natale parce qu’il voulait rester Français, il ne cessera jamais d’aimer le France au point d’être prêt à tout lui sacrifier.

Toute sa vie illustrera ce que veut dire se faire « Une certaine idée de la France ». A partir de 1940, pas une période de son existence qui ne soit consacrée à la servir, pas un instant où ce qu’il accomplit n’ait à voir avec sa grandeur, son prestige, son indépendance.

Officier de la France libre, administrateur des colonies, ministre des Armées, Premier Ministre, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques, Chancelier de l’Institut, membre de l’Académie Française où il succède à Maurice Schumann : tant de grandes vies en une seule, tant de batailles pour un seul et même combat.

Il commence de 17 juin 1940, le jour de l’Armistice.

« Mon grand-père dira-t-il avait refusé de rester en Alsace et était passé en France. Moi, je refuse de rester en France après l’Armistice et je passe en Angleterre pour rejoindre les Forces françaises libres ».

Il est lieutenant. Avec son ami, Jean Simon, futur général et chancelier de l’Ordre de la Libération, ils volent une moto, s’embarquent à Marseille sur un bateau italien confisqué par la marine française qu’ils détournent vers l’Angleterre.

Ils font partie de ces quelques centaines de jeunes français auxquels le Général de Gaulle dira « je ne vous féliciterai pas d’être venus, vous n’avez fait que votre devoir » et qui ne savaient au fond qu’une chose des raisons pour lesquelles ils étaient là, c’est qu’ils voulaient se battre pour une étrange fierté que la France à leur yeux avait perdue.

Ils ne se posaient pas la question de savoir s’ils allaient gagner. Ils étaient là parce qu’ils sentaient qu’ils devaient y être en vertu d’une force mystérieuse, celle peut-être que jadis on appelait « le sens de l’honneur » et qui faisait les hommes debout.

Tout poussait Pierre Messmer à s’engager dans l’épopée des Français libres.

Il le racontera plus tard : « Est-ce rejet de cette vie familiale paisible et confortable ?

Est-ce l’exemple du grand-père qui avait tout sacrifié pour ses idées et sa patrie, était resté pauvre et ne s’en plaignait jamais ?

J’ai senti très jeune le besoin des grands espaces.

La mer, les déserts, le goût de l’aventure avec ses rêves, ses joies et ses dangers. »

A la tête d’une compagnie de la Légion Etrangère, il est à Bir Hakeim, à El Alamein.

Il s’insurge quand les chefs sacrifient inutilement la vie des soldats.

Il se bat. Il est heureux.

« J’étais officier de troupe, dira-t-il, et je voulais le rester ».

Il aime la fraternité des armes.

Il relit Lawrence d’Arabie, les Sept piliers de la sagesse.

Mais, il gardera de la campagne de Syrie le douloureux souvenir d’une lutte fratricide et il reconnaîtra dans cette douleur la terrible faute morale de Vichy et de la collaboration qui fait tuer des Français par des Français. Après l’Afrique, la France, l’Indochine… Il est capturé par le vietminh. Il s’évade…

Dans ses cantines, durant toute la guerre, les poèmes de Péguy.

Combien de fois a-t-il dû se réciter ces vers du poète mort d’une balle en plein front au début de la grande guerre :

« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle.
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement,
Dans l’étreinte d’honneur et le terrestre aveu.
Car cet aveu d’honneur est le commencement
Et le premier essai d’un éternel aveu. »

Il écrit « Je suis heureux parce que je suis certain avec toute la brigade que nous serons bientôt engagés dans une grande bataille. (…) Malgré deux jours de combat, deux jours sans sommeil, je ne sens pas la fatigue, mais une sorte d’exaltation. (…) Il y a des moments de grâce, si je puis dire. Il y a des états de grâce à la guerre comme en temps de paix, des moments où je n’avais pas peur, même dans le danger, et d’autres où j’avais peur ».

La guerre finie, De Gaulle reparti à Colombey, le régime des partis réinstallé, il perçoit d’emblée la faiblesse de la IVème République : l’incapacité de décider.

Malraux dira : « les politiciens contournent toujours l’obstacle ».

Mais il y a l’Indochine, l’Algérie … L’indécision se révèle mortelle.

Il repart en Afrique.

Il dira d’elle : « j’ai aimé les Africains comme des frères et l’Afrique comme une seconde patrie. »

Toujours confronté depuis 1940 à la question du conflit entre la légitimité et la légalité, il observe à quel point dans des pays divisés en ethnies, en tribus, en religions antagonistes, l’élection ne règle rien comme nous le rappellent l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, le Rwanda… Il approche les mystères de l’Afrique noire isolée du reste du monde jusqu’au XXème siècle et dont les structures économiques, sociales et politiques ont volé en éclats. Mais les Africains dit-il « ont gardé leur élan vital incomparable, leur infinie capacité de souffrance, leur solidarité familiale et tribale forte et leur sentiment national faible, leurs religions traditionnelles en déclin apparent mais imprégnant le Christianisme et l’Islam des nouveaux convertis. »
Et il note « le syncrétisme est une forme de génie africain. Pourquoi ne s’appliquerait-il pas à la politique ? Les Dieux de l’Afrique ne sont pas morts. Pour survivre ils se cachent sous d’étranges déguisements. »

A méditer par les prophètes de l’aplatissement du monde et les idéologues du modèle unique de démocratie avec leur bonne conscience en bandoulière qui dans l’Histoire a causé tant de malheurs.

Il est gouverneur de la Mauritanie, gouverneur de la Côte d’Ivoire.

Haut-Commissaire au Cameroun, en Afrique Equatoriale, en Afrique occidentale. Il écrira « J’ai compris que d’autres peuples avaient, comme le mien, le goût de la liberté. Il était absurde, coupable et contraire à la vocation comme aux intérêts de la France de s’y opposer. Le colonial que j’étais est ainsi devenu acteur de la décolonisation. »

En 1960, il est Ministre des Armées du Général de Gaulle.

Il le restera neuf ans.

Incarnant par son passé de combattant, son patriotisme, la fermeté de son caractère, son courage, sa rigueur, les plus belles valeurs militaires.

Face au drame algérien, il s’interroge : « les sentiments qui m’ont porté de 1939 à 1945, patriotisme, volonté de vaincre peuvent-ils encore m’inspirer en Algérie après l’Indochine ? Seul me soutient le vieil honneur militaire qui impose qu’un soldat aille jusqu’au bout de sa longue et lourde tâche, quoi qu’il en coûte. Et aussi ma volonté de retenir dans le devoir mes camarades de guerre qui servent en Algérie et que je sens au bord de la révolte. »

Il connait les horreurs de la guerre mais il combattra la torture.

Un homme vrai. Un vrai ministre qui fait corps avec l’armée, avec l’Etat, avec la Nation dans un temps où il y avait de vrais ministres, un vrai gouvernement, un vrai Chef de l’Etat, et pour tout dire un Etat qui permet à la France de ne pas se défaire dans l’épreuve.

Un Etat qui résiste à la guerre d’Algérie, à l’OAS, à mai 1968.

Le ministre loyal, discipliné garde au cœur une blessure : le sort des Harkis et des supplétifs abandonnés aux tueurs du FLN qui n’hésitent pas à violer les accords d’Evian et le mauvais accueil, souvent indigne, fait à ceux qui parviennent à gagner la France après s’être tant battus pour elle.

En 1971, il est Ministre de l’Outre-mer dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas.

La même année, il est élu Maire de Sarrebourg.

En 1972, Georges Pompidou le choisit comme Premier Ministre.

A la mort de celui-ci, il hésite à se présenter à la Présidence de la République.

On le pousse.

Dans ses mémoires, il confie avec une humilité qui exprime la grandeur morale de cet homme qui n’était décidemment pas un politicien « Depuis le début de ma vie active j’avais toujours eu conscience de dominer ma fonction, grande ou petite, donc d’être capable de l’assumer au mieux, ce qui me donnait assurance et autorité. Pour la première fois, depuis mon entrée à Matignon, je n’étais plus sûr de moi et je devais me poser la question : serais-je capable d’être Président de la République ? La réponse n’était pas évidente. »

Il renonce. Certains y voient de la faiblesse. C’est de la force de caractère !

Trop de manœuvres, trop de jeux de pouvoir, de cynisme pour cet homme qui a toujours simplement voulu servir son pays.

Il ne sera plus jamais ministre.

Il poursuit sa carrière politique jusqu’à sa défaite aux élections législatives de 1988.

Au journaliste et écrivain gaulliste Philipe de Saint Robert qui lui fait part de sa déception, il adresse cette lettre :

« Cher Ami,

Merci pour votre lettre à laquelle j’ai été fort sensible.

En démocratie, la dignité des responsables politiques tient à ce qu’ils se remettent en question, périodiquement, à l’occasion d’élections.

Cet exercice comporte des risques : d’autres – et non des moindres – en ont fait l’expérience avant moi.

Cela dit, je n’ai plus le goût de la vie politique et il est possible que les électeurs l’aient senti.

Quoi qu’il en soit, ayant l’habitude de prendre les situations par le bon côté – ce qui n’est pas votre cas – j’en ai profité pour m’accorder six semaines de vacances en Bretagne ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps… »

Il décide de ne plus solliciter de mandat politique. Il a arrêté sa ligne de conduite. Comme toujours, il s’y tiendra.

En 1995, il est Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques.

En 1998, Chancelier de l’Institut.

En 2000, il entre à l’Académie Française au fauteuil de Maurice Schumann.

François Jacob, prix Nobel de médecine, chargé du discours de réception, l’accueille ainsi : « notre compagnie accueille aujourd’hui le premier légionnaire de son histoire. » et par ces vers de Racine :

« Libres de leur victoire et maîtres de leur foi.
L’intérêt de l’État fut leur unique loi. »

Et par ces mots :

« Votre vie ressemble bien souvent à une bande dessinée. Et vos mémoires se lisent comme un roman d’aventure ».
« Derrière la diversité des fonctions et des personnages, on trouve une grande unité de ton et de style. En atteste le témoignage de ceux qui, ici ou là, à une époque ou à une autre, vous ont connu : même masque d’empereur romain teinté d’une touche de Jean Gabin ; même voix de bronze dont on peut dire ce que Marcel Pagnol disait de Tino Rossi : « Sa voix porte sur les hormones des dames » ; même regard bleu et direct ; même franchise ; même réalisme ; même autorité naturelle ; même énergie ; même courage ; même curiosité ; même esprit toujours en éveil. »

A ce vieux soldat, ce serviteur de l’Etat qui avait conclu lui-même son hommage à son prédécesseur, son compagnon dans l’ordre de la Libération, par ces mots d’Antigone qui sont les plus beaux de la tragédie grecque « je ne suis pas venue pour partager la haine mais pour partager l’amour », François Jacob adresse cet hommage dans lequel tous ceux qui l’ont croisé et qui l’ont aimé le reconnaîtront et qui ne peut que nous conduire à juger sévèrement notre époque et tous ceux qui ont dilapidé cet héritage d’exemplarité et de vertu.
« Courage tant moral que physique, force de caractère, ténacité, réalisme, droiture, générosité, modération, désintéressement ont toujours animé votre action. Votre itinéraire d’exception, ce que j’appelais tout à l’heure la bande dessinée, peut servir de modèle à qui en cherche. On entend souvent le public se plaindre du personnel politique et, en particulier, de l’écart entre ce qui est dit et ce qui est fait. Vous avez illustré une certaine manière de faire la politique, au sens propre, c’est-à-dire de s’occuper des affaires publiques, de vivre dans la cité ; bref de faire le métier d’homme. Vous avez ainsi bien servi votre pays. »

Dans ses cantines, les poèmes de Péguy…

Et dans le cœur cette espérance sans laquelle une vie pareille n’est pas possible.

La flamme de la résistance…

Celle de la vertu d’espérance, car l’espérance est une vertu comme dit Péguy :

« Quelle ne faut-il pas que soient ma grâce et la force de ma grâce pour que cette petite espérance,
vacillante au souffle du péché, tremblante à tous les vents, anxieuse au moindre souffle,
soit aussi invariable, se tienne aussi fidèle, aussi droite, aussi pure ; et aussi invincible, et immortelle, et impossible à éteindre ; que cette petite flamme du
sanctuaire.
Qui brûle éternellement dans la lampe fidèle.
Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes.
Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps.
Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits.
Depuis cette première fois que ma grâce a coulé pour la création du monde.
Depuis toujours que ma grâce coule pour la conservation du monde.
Depuis cette fois que le sang de mon fils a coulé pour le salut du monde.
Une flamme impossible à atteindre, impossible à éteindre au souffle de la mort. »

L’espérance est une vertu. Une vertu héroïque ajoute Bernanos.

Et depuis que la race des hommes comme Pierre Messmer est disparue, remarquez bien que cette vertu est particulièrement héroïque.

Des épreuves naîtront sans doute d’autres de ces hommes qui font espérer parce qu’ils espèrent eux-mêmes avec une force contagieuse.

Mais en attendant ?…

Entretien donné par Henri Guaino à Valeurs Actuelles

“En juin 2017 Henri Guaino me confiait qu’en politique, il vaut mieux avoir tort avec tout le monde, que raison tout seul. A relire ce qu’il déclarait alors, j’ai envie de lui dire qu’aujourd’hui nous sommes beaucoup à penser qu’il n’est plus seul.

Je vous invite à lire ou relire l’entretien donné par Henri Guaino à Valeurs Actuelles le 9 juin 2017, où il décrivait très précisément la situation que traverse notre pays aujourd’hui.”

– Martial Sciolla

Valeurs actuelles. Comment jugez-vous l’état de votre parti, les Républicains, au sortir de l’élection présidentielle, et leur attitude durant les élections législatives ?

Henri Guaino. Il est traversé par des fractures multiples dont les causes remontent à la création de l’UMP. Il était inévitable qu’un jour ou l’autre elles provoquent des déchirures. Le même mal affecte aussi le Parti Socialiste. C’est ce que j’appelle le mal du cartel électoral. Il y avait depuis 15 ans deux grands cartels électoraux en France dont les participants n’avaient parfois pas grand-chose en commun : pas de socle commun d’idées sur la nation, la société, la civilisation, sur l’Homme… Mais c’est pourtant un tel socle qui fait une famille politique, même s’il peut parfois y avoir dans cette famille des sensibilités différente et des divergences. Mais quand même, il faut que ce qui unit soit plus fort que ce qui divise. Or, au fond, ni le Parti Socialiste, ni l’UMP n’avaient ce socle commun. Ces cartels n’étaient destinés qu’à ratisser les voix le plus largement possible. L’un était positionné au centre gauche, l’autre au centre droit. Ils avaient vocation à alterner au pouvoir. Par une ruse de l’Histoire assez prévisible, la seule conséquence a été de faire émerger sur la scène politique de grands mouvements radicalisés. Car sans ciment idéologique et maintenant sans leadership, ces deux partis n’ont plus rien eu à dire aux Français, alors que les crises qui s’accumulent exigent des réponses de façon de plus en plus pressantes.

Face à ces cartels fragilisés par leurs contradictions internes, Emmanuel Macron réunit ce qu’Alain Minc a appelé jadis “le cercle de la raison” : ces gens soi-disant raisonnables, qui pèsent très lourd dans le pouvoir politique qui à droite comme à gauche exercent une influence dominante sur toutes les politiques depuis le « tournant de la rigueur » de Mitterrand en 1983.

Les voilà ensemble, en bloc compact au centre du jeu politique et pourraient bien le verrouiller en satellisant la majorité des français dans une multitude de radicalité qui par nature ne pourrait pas se coaliser.

Il n’y a-t-il pas quelque chose d’illogique dans un pays qui pense à droite, et qui pourtant a élu Emmanuel Macron ?

Le pays ne s’est pas tant droitisé que radicalisé. Ce n’est pas la même chose, car on ne répond pas à cette radicalisation par la droite ou la gauche, ce qu’Emmanuel Macron, comme le Front National d’ailleurs, a très bien compris. Le clivage droite/gauche a eu différentes significations tout au long de l’Histoire et il y a toujours eu plusieurs droites et plusieurs gauches souvent opposées les unes aux autres.

Aujourd’hui nous sommes dans un  moment de l’Histoire où bien malin qui peut dire ce que ces étiquettes signifient réellement.

Mais il y a plusieurs façons dans l’Histoire de dépasser la droite et la gauche, pour le meilleur ou le pire : la façon du gaullisme, ou du bonapartisme, ou encore le populisme, le nationalisme ou le fascisme ou encore le centrisme ou la troisième force sous la IVème République. Le Macronisme est une nouvelle façon, celle de la pensée unique, de la seule politique soi-disant raisonnable possible. Le vrai paradoxe, c’est que la France est radicalisée et révoltée contre le système de pensée et de pouvoir qui la gouverne depuis 40 ans, comme le montre le premier tour de l’élection présidentielle et que l’élection présidentielle accouche de la quintessence du système sous le masque juvénile de monsieur Macron : derrière le « dégagisme », le triomphe du « système » dans ce qu’il a de pire comme on finira par s’en rendre compte.

La réunion des deux demi-cercles de la raison, celui de gauche et celui de droite n’est pas une mise à bas du système qui nous a conduit économiquement et socialement et culturellement là où nous en sommes mais une consolidation, une pérennisation de ce dernier. Sous couvert de nouveauté et d’éclatement des « partis de gouvernement » le « système » s’affiche sans vergogne comme le maître du jeu en ne s’embarrassant plus de faux-semblant, en ne se dissimulant plus derrière les politiciens discrédités et les étiquettes usées jusqu’à la corde.

C’est le règne de la pensée unique, de l’arrogance technocratique, du pseudo progressisme et du pseudo modernisme décomplexés, jetant un jour un os à ronger à la gauche sociétale et un autre jour un os à ronger à la droite libérale…

Cette élection présidentielle restera comme le rendez-vous démocratique le plus manqué de la Ve République, un formidable pied de nez à un peuple qui n’en peut plus de souffrir, qui n’en peut plus de désespérer, qui n’en peut plus de l’insécurité économique, sociale, culturelle, et qui a été permis par le concours des circonstances et par la mobilisation de puissants intérêts matériels et financiers. Lorsque les français se rendront compte que tout ce dont ils ne voulaient plus s’est emparé de tout le pouvoir, les choses tourneront mal.

Le souverainisme avec des personnes comme vous, Nicolas Dupont-Aignan, ne peut-il pas constituer le noyau dur de l’opposition à venir ?

Je préfère faire référence au gaullisme : la souveraineté est le moyen de faire vivre « une certaine idée de la France », elle n’est pas une fin en soi.

Disons alors un courant politique d’inspiration gaullo-bonapartiste. Allez-vous finir par vous rassembler et faire émerger un grand pôle qui représentera ce courant de pensées ? Que pensez-vous de l’initiative prise par Nicolas Dupont-Aignan de proposer une alliance patriote et républicaine à Marine Le Pen ?

Ce qu’a fait Nicolas Dupont-Aignan – et je ne lui jette pas la pierre – a obéré sa capacité à être un acteur majeur de l’émergence d’un grand courant gaullo-bonapartiste capable de parler aux classes moyennes et populaires, de prendre à bras le corps la question nationale et la question sociale, ayant la volonté de donner à la France les moyens d’agir dans le monde tel qu’il est, au lieu de le subir. Ce courant qui ressemblerait un peu à ce qu’a été le RPR à ses débuts où le RPF du Général de Gaulle dans les années 50, entre le Front National, Macron, et la France Insoumise et dont notre vie politique a besoin. Sinon, on se retrouvera comme dans les années 50, avec une force centrale verrouillée par les notables qui se partagent le pouvoir et rejettent la majorité des français dans les pôles de radicalité que sont à l’époque le PC et le RPF sans qu’il puisse y avoir aucune solution démocratique à ce hiatus entre la majorité au pouvoir et la minorité qui subit jusqu’à ce que le régime de la IVème République s’effondre au bord de la guerre civile évitée de justesse par le retour du Général de Gaulle au pouvoir… Mais aujourd’hui, il n’y a plus personne à Colombey…

Avez-vous peur, dans les prochaines années, d’une situation extrêmement tendue, dans notre société ?

Prenons garde à ce que la pérennisation ou l’aggravation de l’écart entre le système de pouvoir et les aspirations profondes de la société dans un contexte de désordres graves, de crises aigües et de tensions fortes, ne conduisent pas à ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets et n’ouvrent la voie à la violence comme seule issue à l’absence de solution démocratique. D’où encore une fois la nécessité absolue de reconstituer une force politique capable de parler aux classes moyennes et populaires qui permette d’envisager une autre majorité politique et d’autres solutions. L’UMP en conduisant à l’effacement d’un grand mouvement gaulliste et populaire et en préférant le parti unique aux alliances de gouvernement a été une faute qui se paye chèrement aujourd’hui.

Pour les élections législatives, et selon les derniers sondages, Emmanuel Macron risque d’avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, il y aura-t-il une place pour une vraie force d’opposition ?

Il faut bien comprendre que nous sommes « en marche » vers la plus formidable concentration de pouvoirs entre les mains du président depuis 1958. Il est bon qu’un président ait une majorité. Mais  « en marche » n’est pas un parti inscrit dans une tradition politique, il ne se rattache à aucune histoire, c’est un agglomérat hétéroclite de circonstance. Cela fera une Assemblée de figurants aux ordres du seul trait commun entre tous ces élus dont le seul point commun est la fascination pour monsieur Macron. Faute de culture politique, d’expérience, d’ancrage cet agrégat de personnalités diverses sera manipulable à souhait par le pouvoir et les technocrates.

A cette inquiétude s’en rajoute une autre : l’autoritarisme qui pointe chez monsieur Macron. Les ordonnances, la concentration dans ses mains des services de renseignements, les projets concernant la suite de l’état d’urgence. Peut-être allons-nous découvrir une personnalité un peu plus inquiétante que nous le pensions… Du coup, une opposition capable de se faire entendre est encore plus nécessaire et elle ne doit pas être le monopole de la radicalité. Reste à savoir s’il restera de grandes voix au parlement après les législatives.

Pour exister l’opposition doit avoir quelque chose à défendre et des voix pour porter ce qu’elle a à dire ! Emmanuel Macron aura une majorité. Mais les nouveaux présidents l’ont tous obtenue, Mitterrand en 1981, Sarkozy en 2007, Hollande en 2012. Dès qu’il y a un changement de président, il y a logiquement une envie de nouveauté, une envie de chasser le temps usé et d’espérer à nouveau. Cela ne garantit rien pour la suite, on l’a bien vu avec François Hollande. Une illusion lyrique passagère ne fait pas un soutien indéfectible à une politique. L’inédit est qu’on ne sait pas avant de voter qui sera dans la majorité et qui sera dans l’opposition après les élections…

Êtes-vous justement venu dans cette circonscription pour porter une voix claire à droite ?

Je suis là pour trancher des contradictions qui empêchent toute reconstruction politique. On ne peut rien construire sur la confusion qui nous a amenés là où nous en sommes aujourd’hui. On ne reconstruira rien entre le Front National et le macronisme si l’on reste prisonnier de cette confusion et des motions de synthèses du parti socialiste.

Nathalie Kosciusko-Morizet est-elle le symbole de cette confusion à droite ?

On est dans la confusion quand on cherche à tout prix des synthèses entre ce qu’elle incarne, ce que j’incarne. Les synthèses foireuses ont tué le PS, elles sont en train de tuer Les Républicains. Il arrive un moment où il faut trancher.

Nathalie Kosciusko-Morizet pourrait très bien aujourd’hui siéger au gouvernement aux côtés de Bruno Le Maire et d’Edouard Philippe. Elle a d’ailleurs tout fait pour y entrer. Il y a plus de proximité entre ses idées et celles du macronisme qu’entre les siennes et les miennes.

On est, de plus, incapable de savoir aujourd’hui, si elle sera dans la majorité ou dans l’opposition.

La circonscription où vous vous présentez n’est-elle pas, à elle seule, représentative du grand malaise à droite, avec des courants irréconciliables ?

La configuration politique dans la 2ème circonscription de Paris est effectivement représentative de ce malaise de la droite et du centre qui étale ici toute les contradictions qui finissent par les rendre inaudibles. Les électeurs de cette circonscription ont, avec leur bulletin de vote, une responsabilité dans l’avenir de notre vie politique, de notre démocratie et de notre nation qui dépasse largement l’enjeu d’un siège parlementaire de plus ou de moins pour tel ou tel parti. Ils auront à choisir si l’opposition aura encore une voix pour se faire entendre et laquelle.

Qu’avez-vous aujourd’hui à dire au peuple de droite, déboussolé, qui croit en des gens comme vous, mais qui sont perdus et ne votent pas ou ne votent plus ?

On continue comme ça ? On continue à tout abîmer ? On continue à se prosterner devant l’héritage de mai 68 ? À laisser s’effondrer l’autorité ? Àdétruire la filiation ?  À dissoudre l’identité ? À renier une certaine idée de la civilisation et de la civilité ? À excuser les voyous ? À laisser filer le communautarisme ? À décourager l’effort, le travail, le talent, l’esprit d’entreprise ? À regarder de plus en plus l’homme comme une marchandise ? À dévaster l’économie, à fabriquer des chômeurs, des pauvres, des exclus ? Àlaisser une partie croissante de la jeunesse sombrer dans l’anomie ? Àliquider la nation et tout ce qui nous fait aimer la France et la fait aimer au monde entier, ou est-ce qu’on arrête avant que tout cela soit irréparable ? Si l’on ne veut pas que cela continue, il faut créer une nouvelle force politique réellement capable de dire « non » à cette tendance fatale.

C’est aujourd’hui votre volonté, la construction de ce nouveau mouvement gaulliste ?

C’est mon objectif, à condition d’être élu. C’est désormais aux électeurs de trancher. Si je ne suis pas élu, j’en tirerai les conséquences : on ne fait pas de politique tout seul.

Si vous n’êtes pas élu, vous ne seriez pas l’architecte de ce mouvement ?

Si vous n’êtes pas élu… quelle est votre légitimité en politique ? Si je ne suis pas élu, je redeviendrai un militant comme un autre. Tout le monde doit prendre ses responsabilités, j’ai pris les miennes, aux citoyens et aux électeurs de prendre les leurs. Il y a vingt-quatre candidats dans la 2èmecirconscription de Paris ! Chaque groupuscule de droite a éprouvé le besoin de mettre un candidat : c’est ce que l’on appelle l’union des droites !

Êtes-vous optimiste sur le fait que, dans les prochaines années, ce mouvement voit le jour ?

Je partage l’avis de Bernanos, « l’optimisme est une facilité, l’espérance est une vertu et c’est une vertu héroïque ». A certains moments l’espérance est une vertu plus héroïque qu’à d’autres moments (rires).

Certains à droite parlent d’un sentiment de “gâchis” en parlant des Républicains, qui auraient tout fait pour étouffer le courant gaullo-bonapartiste. Si vous n’êtes pas élu, la voix du gaullo-bonapartisme peut-elle s’éteindre ?

La mienne en tout cas, oui !

En voulez-vous à ceux qui, aux Républicains, ont tout fait pour étouffer votre courant de pensée ?

Ils ont quand même réussi le tour de force de faire perdre leur famille politique, non seulement les élections, mais aussi l’honneur. Comment s’étonner que les Français n’aient pas envie de leur faire confiance ?

Entre les opportunistes, les affairistes, ceux qui ne pensent pas, ceux qui ne voient pas plus loin que la prochaine élection, nous sommes quand même servis !

Je ne parle pas des militants et des sympathisants mais de ces quelques notables qui tiennent le haut du pavé, de ce petit clan qui s’est emparé des commandes de LR à la faveur de l’élection présidentielle, qui est toujours en place et qu’on ne pourra changer qu’à l’automne, qui a l’apparence de la légalité mais n’a aucune légitimité. Il remâche son amertume. Ce n’est pas la meilleure façon de créer un élan.


Propos recueillis par Pierre Dumazeau

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