Vladimir Poutine, le spectre de l'ours russe ?

Le large succès de Vladimir Poutine aux élections présidentielles russes du 18 mars 2018 a été accueilli de façon univoque par les pays occidentaux. Le scrutin aurait été entièrement verrouillé et l’adoubement du nouveau tsar des Russes le soir de sa réélection destiné à masquer les insuffisances d’un régime liberticide et ne réglant aucunement la question sociale.

 

Une longue tradition de mépris

Les médias et certains intellectuels occidentaux assimilent la Russie de façon caricaturale à une dictature, témoignant, soit d’une certaine paresse intellectuelle, soit d’une vision condescendante qui a toujours été présente en Europe depuis que la Russie existe. Il suffit de lire ce qu’écrit en 1843 l’écrivain monarchiste Astolphe de Custine dans La Russie en 1839, best-seller de la philosophie politique du XIXème siècle, au même titre que De la Démocratie en Amérique, pour se laisser convaincre du mépris des opinions publiques occidentales à l’égard de la Russie. La Russie des tsars était alors considérée comme l’archétype du despotisme oriental. L’histoire de la Russie était alors celle d’une longue dynastie de tyrans, depuis le nouveau Néron Ivan le Terrible jusqu’au fourbe Alexandre Ier de la campagne de Russie.

Cette vision s’est certes infléchie, mais elle est toujours prégnante dans la pensée occidentale. Elle s’est doublée d’un climat d’affrontement idéologique durant la Guerre Froide. Le Russe est une nouvelle fois associé à la figure de l’Autre qui déferlerait sur l’Europe, en héritier des invasions barbares.

 

Le bilan contrasté de Poutine

Si les médias avaient été un tant soit peu objectifs et nuancés, ils auraient dit ou écrit que le bilan du président russe est contrasté. Certes, les disparités socio-spatiales sont immenses entre les grandes métropoles (Moscou, Saint-Pétersbourg) complètement intégrées à la mondialisation et certaines campagnes où le chômage, la pauvreté et l’alcoolisme sont de véritables fléaux. Selon un rapport de Crédit Suisse en 2017, 1% de la population russe concentrerait les trois quarts de la richesse nationale. L’économie russe, reposant essentiellement sur les ressources naturelles (gaz, pétrole, minerais) et l’industrie lourde, reste très dépendante d’autres puissances industrielles dont la richesse se fonde sur les biens manufacturés. En cela, la Russie ne peut soutenir la comparaison avec la Chine, dont le passé comporte pourtant des points communs. Enfin, la Russie n’est pas un modèle de démocratie. Le modèle de « démocrature », véritable démocratie dirigée et structurée par un parti surpuissant, ne peut être comparable avec les systèmes politiques occidentaux. Elle s’inscrit néanmoins dans le cadre de la légalité et de la constitution.

Il n’en demeure pas moins qu’avec ses 76,8%, et même si des anomalies ont pu être constatées dans le scrutin, Vladimir Poutine dispose d’une assise populaire très confortable. Ceci n’est pas dû au seul nationalisme expansionniste qu’il a mis en avant dans la question ukrainienne, en réalité depuis la guerre d’Ossétie du Sud en 2008. Certes, les Russes voient leur pays comme une forteresse assiégée par l’Occident depuis la fin de l’URSS en 1991. Mais, en reprenant le pouvoir sur les oligarques, en menant une politique volontariste de grands travaux (dont les jeux de Sotchi ont constitué l’un des aboutissements), en rétablissant la croissance malgré deux coups d’arrêt en 2009 et 2015, en instaurant des droits de douane prohibitifs pour défendre les intérêts industriels russes, Poutine a fait redémarrer une économie russe en grand déclin à la fin de la présidence de Boris Eltsine en 1999. Ceci oblige les Français et les Européens à regarder la Russie non pas comme un ennemi mais comme un partenaire économique et diplomatique majeur.

 

Un nécessaire allié

Savoir si la Russie est une dictature douce ou une démocratie est un faux-débat qui ne devrait pas mobiliser l’opinion publique française. A ce compte-là, il y a peu de régimes politiques qui seront fréquentables. De plus, la diplomatie française doit avant tout défendre les intérêts français. Il est ainsi regrettable que l’élection de Vladimir Poutine ait été accueillie aussi froidement par Emmanuel Macron qui a fait le minimum syndical en souhaitant « la modernisation politique, démocratique, économique et sociale du pays. » Le début du mandat du président de la République, avec la réception de Versailles, avait pourtant été porteur d’espoir mais, comme souvent, le macronisme se résume davantage à une politique spectacle qu’à une politique d’action. L’alignement de la France sur la Grande-Bretagne et les États-Unis avec le renvoi de quatre diplomates russes suite à l’affaire Skripal va également dans le même sens.

Il faudrait au contraire reconstruire une relation avec la Russie qui ne soit pas naïve, dans un sens comme dans l’autre. Il ne faut pas tout concéder à la Russie et veiller par exemple à ce qu’elle n’étende pas son influence aux pays de l’ancien Bloc de l’Est ou au Proche-Orient. Mais, dans le même temps, la Russie doit rester un interlocuteur majeur dans le règlement de la question syrienne et, plus largement, dans l’endiguement des réseaux djihadistes au Proche-Orient et en Asie Centrale. Enfin, la Russie doit redevenir un partenaire diplomatique et économique majeur de la France. La Russie et l’Europe doivent être le point d’équilibre dans les relations économiques internationales, entre les États-Unis d’une part, la Chine d’autre part, cette dernière profitant de la défiance européenne pour conquérir de nombreuses parts de marché. En raison des sanctions antirusses appliquées avec particulièrement de vigueur sous François Hollande, la France n’est plus que le cinquième partenaire commercial de la Russie en Europe, se situant derrière les Pays-Bas ou l’Italie. Il convient donc de relancer une politique de grands contrats dans des domaines comme l’aéronautique, les infrastructures de transport ou la construction navale, qui constituent depuis de Gaulle le moteur de notre commerce avec la Russie. Elle doit permettre une redynamisation de nos exportations qui ont chuté de façon inquiétante depuis 2014 dans des domaines jusqu’alors forts comme l’agroalimentaire (-39%), les équipements électriques et informatiques et les vins et spiritueux. La diplomatie culturelle doit être aussi être encouragée, d’autant plus qu’elle est un pilier de nos liens avec la Russie (par exemple, les reliques de la Sainte Chapelle furent exposées au musée du Kremlin en 2017). Ainsi, la francophonie, qui a fortement décliné dans l’espace russe, doit être à nouveau une priorité. La création d’une véritable antenne universitaire franco-russe, basée à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, université en pointe dans les échanges entre nos deux pays, pourrait être un bon levier pour des relations à nouveau apaisées.

 

Jean-François Figeac

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